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Pour te les peindre, songe aux horreurs du passé,
À tant d’excès commis, à tant de sang versé.
Rappelons-nous ici ma première infortune,
Image à des vengeurs plus douce qu’importune.
À la cour du tyran, Gustave, ambassadeur,
Et d’un sang dont l’on dût révérer la splendeur,
Éprouve des cachots la rigueur et l’injure.
Je languis dans les fers, tandis que le parjure
En vient charger ici des peuples éperdus,
Qu’il craignoit que mon bras n’eût trop bien défendus.
Échappé, mais trop tard, et fuyant nos frontières,
Depuis cinq ans en proie aux armes étrangères,
Je passai sous un ciel encor plus ennemi,
Où le soleil n’échauffe et ne luit qu’à demi,
Tombeau de la nature, effroyables rivages
Que l’ours dispute encore à des hommes sauvages :
Asile inhabitable, et tel qu’en ces déserts
Tout autre fugitif eût regretté ses fers.
Sans amis, sans patrie, ignoré sur la terre,
C’est là, durant trois ans, que je fuis et que j’erre,
Qu’impuissant ennemi, qu’amant infortuné,
Je maudis mille fois le jour où je suis né.
Une misère enfin si profonde et si rare
Trouva quelque pitié dans ce climat barbare.
Des cavernes du nord, du fond de ses frimas,
Je sus faire sortir des hommes, des soldats ;
Et même des amis généreux et fidèles,
À ne le pas céder aux âmes les plus belles.
Suivi d’eux, je reviens ; et les âpres hivers