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Vous seul aurez-vous eu de la reconnoissance ?
Le ciel a-t-il remis ces biens en ma puissance,
Pour me voir emporter le reproche au tombeau,
D’avoir eu, sans le suivre, un exemple si beau ?
L’amitié de mon père étoit plus engageante.
Qu’il revive en sa fille !

GERONTE

Ô trop heureux Argante !
Oui ! Tu revis en elle, & tu m’en vois jaloux.
Généreuse Angélique ! Adieu, séparons-nous.
Quel horrible surcroît seroit-ce à ma misère,
Que je vous dusse encore autant qu’à votre père ;
Moi, qui rougis déjà de vous voir aujourd’hui
Ne tenir rien de moi, quand je tiens tout de lui !
Le ciel a fait pour vous ce que je voulois faire.
Votre prospérité me tient lieu de salaire.
N’honorez plus ces lieux d’un aspect si charmant :
Fuyez-nous pour jamais ! Quelquefois seulement
Souvenez-vous de moi, dans le cours d’une vie
Dont la félicité fit ma plus chère envie ;
J’aurois fait aujourd’hui moi-même ce bonheur ;
Mais j’étois sans fortune, & mes fils sans honneur.

ANGÉLIQUE

Je ne vous parle plus que devant ces barbares.
Par une offre si juste, & des refus si rares,
Inspirons, ou du moins faisons-leur concevoir,
Vous, le mépris des biens ; moi, l’amour du devoir.