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CHRISALDE

Parce que, chaque jour, de vos folles largesses,
Jusqu’ici vous avez acheté leurs caresses ;
Mais le mal est…

GERONTE

Mon dieu ! Voici de vos discours !
Épargnez-vous le soin de parler à des sourds.
Le mal, si c’en est un, est un mal nécessaire.
Aura-t-on donc toujours ce reproche à me faire ?
De tout ce que j’avois, j’ai fait part à mes fils :
Oui, mon frère ; & je fis fort bien, quand je le fis.
Le poids de la richesse, à notre âge, importune.
À peu de passions, suffit peu de fortune.
De l’or & de l’argent, sources de tous plaisirs,
La jouissance est due à l’âge des désirs.
Devais-je, à votre avis, thésaurisant sans cesse,
Imiter ces vieillards, tyrans de la jeunesse,
Qui, la faisant languir, sans être plus heureux,
La privent des plaisirs qui sont perdus pour eux ?
Et que devient souvent le bien d’un père avare ?
L’héritier est frustré, l’usurier s’en empare,
Cette peste publique ayant, à notre insu,
Dévoré l’héritage, avant qu’il fût échu ;
Ou, si le fils échappe à ce désordre extrême,
Le père est détesté. Je veux, moi, qu’un fils m’aime ;
Et ne soit pas réduit, pour voir changer son sort,
Au déplorable point de désirer ma mort.