Dieu me garde de prêter aux masses ignorantes de l’Inde un sentiment trop net de leur existence collective ! Je crois pourtant que la nappe souterraine existe, et que du jour où les forages seront pratiqués, elle jaillira en source vive. En tout cas, il y a un parti national organisé, qui a un programme, qui sait ce qu’il veut, et qui exerce à Calcutta, et même à Londres, une pression plus grande qu’on ne voudrait le laisser croire. J’ai entendu les orateurs de ce parti au Congrès national de Lahore, fin de décembre 1900. Et c’est là que l’idée de ce livre fut conçue. Il est un résultat non seulement de lectures, mais d’impressions directes, recueillies à la source. Oui, oserai-je l’avouer, j’ai prêté l’oreille à l’opinion indigène ! Pour les Anglais, l’opinion a une couleur, et ils l’entendent autrement que nous ; pour moi, elle n’en a pas. De ma vie, je n’ai vu rien de pareil au mépris hautain, reposé et sûr que l’Anglais éprouve, sans l’affecter, pour l’opinion d’un « native ». Quand à tel fonctionnaire anglo-indien, carré dans son fauteuil, je parlais du Congrès national, je me rappelle des yeux dilatés de surprise, puis se fermant à demi : « Quoi ! voulaient-ils dire, vous avez écouté ces niaiseries ? » Devais-je me cacher sous la table, de honte ? Un homme de bonne compagnie, qui vous conte l’histoire d’un manant, s’excuse. En vérité, moi aussi je rougissais presque de m’intéresser à cette canaille. Si j’étais resté quelques mois de plus, je partageais peut-être la belle indifférence, sereine et superbe, de ces gentlemen bien nourris et bien vêtus pour 300 millions de faméliques… Éventé par le panka, dans son bureau bien frais, le