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unes avec les autres, la vie économique s’est fatalement imprégnée d’un caractère local. Les marchés carolingiens s’expliquent par là. Ils ne sont point créés en vue de susciter le commerce ; ils ne servent qu’à assurer le ravitaillement des populations en assignant aux vendeurs et aux acheteurs d’une région déterminée des rendez-vous périodiques en un endroit fixe et placé sous le contrôle de l’autorité. Les paysans des alentours y apportent des œufs, du fromage, des colporteurs y déballent de la quincaillerie, des baladins y amusent les visiteurs venus des villae voisines[1]. Bref, ce sont des marchés de village, ce ne sont en rien des centres d’affaires.

La pauvreté de la circulation monétaire illustre mieux encore l’idée qu’il convient de se faire de l’économie carolingienne. L’or ayant disparu de la Gaule avec le commerce, il était devenu impossible de conserver le système monétaire romain auquel les Mérovingiens étaient restés fidèles. Charlemagne substitua la frappe de l’argent à celle de l’or et établit entre le denier, seule monnaie réelle, le sou et la livre, simples monnaies de compte, un rapport nouveau qui devait dès lors se conserver à travers les siècles. Cette dégradation du numéraire est déjà en elle-même un symptôme non équivoque de déclin commercial. Mais il est plus significatif encore de constater à quel point la monnaie s’est faite rare au ixe siècle. Non seulement la frappe en est bien moins abondante qu’à l’époque précédente[2], mais les espèces se répandent avec une lenteur et une difficulté qui sont des indices certains de stagnation commerciale. Une des plus belles idées de Charlemagne, celle de réserver au souverain le monopole de la

  1. J’emprunte les éléments de ce passage aux stipulations des capitulaires sur les marchés. Il faut remarquer qu’il ne se trouve pas dans les capitulaires un seul texte relatif au grand commerce. Ils ne connaissent évidemment et ne réglementent que le commerce de détail. L’édit de Piste (864) nous fournit ce passage caractéristique : « Per civitates et vicos atque per mercata ministri reipublicae provideant, ne illi, qui panem coctum aut carnem per deneratas aut vinum per sextaria vendunt, adulterare et minuere possint ». Capitularia, éd. Boretius, t. II, p. 319.
  2. Il suffit de comparer à cet égard le Catalogue des monnaies carolingiennes de la Bibliothèque nationale de M. M. Prou, avec le Catalogue des monnaies mérovingiennes du même savant.