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traire ou pour mieux dire entraînés à correspondre avec lui. De là les oppositions si violentes que l’on relève en comparant leur état social à celui de l’Empire Carolingien : au lieu d’une aristocratie domaniale, une aristocratie commerçante ; au lieu de serfs attachés à la glèbe, des esclaves considérés comme des instruments de travail ; au lieu d’une population vivant à la campagne, une population agglomérée dans des villes ; au lieu enfin d’une simple économie de consommation, une économie d’échange et une activité commerciale régulière et permanente.

Que ces oppositions si flagrantes soient le résultat des circonstances qui ont donné des débouchés à la Russie tandis qu’elles en privaient l’Empire Carolingien, l’histoire le démontre avec une surprenante évidence. L’activité du commerce russe ne s’est maintenue, en effet, qu’aussi longtemps que les chemins de Constantinople et de Bagdad lui sont demeurés ouverts. Elle ne devait point résister à la crise que les Petchénègues firent fondre sur elle, au xie siècle. L’invasion de ces barbares aux bords de la mer Caspienne et de la Mer Noire y entraîna des conséquences identiques à celles que l’invasion de l’Islam dans la Méditerranée avait eues au viiie siècle pour l’Europe Occidentale.

De même que celle-ci avait coupé les communications de la Gaule avec l’Orient, elle coupa les communications de la Russie avec ses marchés extérieurs. Et, de part et d’autre, les résultats de cette interruption coïncident avec une exactitude singulière. En Russie comme en Gaule, le transit disparaissant, les villes se dépeuplent et la population, étant obligée de trouver sur place les moyens de pourvoir à sa subsistance, une période d’économie