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CHAPITRE II

LA DÉCADENCE COMMERCIALE DU IXe SIÈCLE

On n’a pas, en général, suffisamment remarqué cette immense portée de l’invasion de l’Islam dans l’Europe Occidentale[1]. Elle eut, en effet, pour conséquence de placer celle-ci dans des conditions qui n’avaient jamais existé depuis les premiers temps de l’histoire. Par l’intermédiaire des Phéniciens des Grecs et enfin des Romains, l’Occident avait toujours reçu sa civilisation de l’Orient. Il avait vécu, pour ainsi dire, de la Méditerranée : le voici pour la première fois, forcé de vivre de sa propre substance. Son centre de gravité placé jusqu’alors aux bords de la mer, est repoussé vers le Nord et il en résulte que l’État franc, qui n’y avait encore à tout prendre, joué qu’un rôle historique de second ordre, va devenir l’arbitre de ses destinées. Il est impossible de ne voir qu’un jeu du hasard dans la simultanéité de la fermeture de la Méditerranée par l’Islam et de l’entrée en scène des Carolingiens. À envisager les choses de haut, on aperçoit nettement entre l’une et l’autre un rapport de cause à effet. L’Empire franc va jeter les bases de l’Europe du Moyen Âge. Mais la mission qu’il a remplie a eu pour condition essentielle le renversement de l’ordre traditionnel du monde ; rien ne l’y aurait appelé si l’évolution historique n’avait été détour-

  1. H. Pirenne, Mahomet et Charlemagne (Revue belge de philologie et d’histoire, t. I, p. 86).