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Le fait seul de son existence devait, en effet, agir immédiatement sur celles-ci, et, petit à petit, atténuer le contraste qui, au début, les séparait d’elle-même. Elle eut beau s’ingénier à les maintenir sous son influence, leur refuser la participation à ses privilèges, les exclure de l’exercice du commerce et de l’industrie, elle n’eut pas la force d’arrêter une évolution dont elle était la cause et qu’elle n’aurait pu supprimer qu’en disparaissant.

La formation des agglomérations urbaines ébranla tout de suite l’organisation économique des campagnes. La production telle qu’elle y était pratiquée n’avait servi jusqu’alors qu’à subvenir à l’existence du paysan et aux prestations dues à son seigneur. Depuis la cessation du commerce, rien ne le sollicitait à demander au sol un surplus dont il lui eût été impossible de se défaire puisqu’il ne disposait plus de débouchés. Il se contentait de parer à sa vie journalière, certain du lendemain et ne souhaitant aucune amélioration de son sort, parce qu’il n’en pouvait concevoir la possibilité. Les petits marchés des cités et des bourgs étaient trop insignifiants, leur demande au surplus trop régulière, pour l’exciter à sortir de sa routine et à augmenter son labeur. Or, voilà que ces marchés s’animent, que le nombre des acheteurs s’y multiplie et que tout à coup la certitude lui apparaît de pouvoir y écouler les denrées qu’il y amènera. Comment n’eût-il pas profité d’une occasion aussi favorable ? Il ne dépend que de lui de vendre s’il produit suffisamment, et aussitôt il laboure les terres que jusqu’alors il a laissées en friche. Son travail prend une signification nouvelle. Il lui permet le profit, l’économie et une vie plus confortable à mesure qu’elle sera plus active.