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dès l’abord étonner, par l’étrangeté de son genre de vie, la société agricole dont il heurtait toutes les habitudes et où aucune place ne lui était réservée. Il apportait la mobilité au milieu de gens attachés à la terre, il révélait à un monde fidèle à la tradition et respectueux d’une hiérarchie qui fixait le rôle et le rang de chaque classe, une activité calculatrice et rationaliste pour laquelle la fortune, au lieu de se mesurer à la condition de l’homme, ne dépendait que de son intelligence et de son énergie. Aussi ne peut-on pas être surpris s’il a fait scandale. La noblesse n’eut jamais que dédain pour ces parvenus sortis on ne sait d’où et dont elle ne pouvait supporter l’insolente fortune. Elle enrageait de les voir mieux fournis d’argent qu’elle même ; elle était humiliée de devoir recourir dans les moments de gêne, à la bourse de ces nouveaux riches. Sauf en Italie, où les familles aristocratiques n’hésitèrent pas à augmenter leur fortune en s’intéressant à titre de prêteur, aux opérations commerciales, le préjugé que c’est déchoir que de se livrer au négoce, demeura vivace au sein de la noblesse jusqu’à la fin de l’Ancien Régime.

Quant au clergé, son attitude à l’égard des marchands fut plus défavorable encore. Pour l’Église, la vie commerciale était dangereuse au salut de l’âme. Le marchand, dit un texte attribué à Saint Jérôme, ne peut que difficilement plaire à Dieu. Le commerce apparaissait aux canonistes comme une forme de l’usure. Ils condamnaient la recherche du profit, qu’ils confondaient avec l’avarice. Leur doctrine du juste prix prétendait imposer à la vie économique un renoncement et pour tout dire un ascétisme incompatible avec le développement