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lité Venise n’appartient à l’Occident que par sa situation géographique ; par la vie que l’on y mène et par l’esprit qui l’inspire, elle lui est étrangère. Les premiers colons des lagunes, fuyards d’Aquilée et des cités voisines, y ont apporté la technique et l’outillage économiques du monde romain. Les rapports constants et de plus en plus actifs qui, depuis lors, n’ont cessé de rattacher la ville à l’Italie byzantine et à Constantinople, y ont sauvegardé et développé ce précieux dépôt. En somme, entre Venise et l’Orient où se conserve la tradition millénaire de la civilisation, le contact n’a jamais été perdu. On peut considérer les navigateurs vénitiens comme les continuateurs de ces navigateurs syriens que nous avons vu fréquenter si activement, jusqu’aux jours de l’invasion musulmane, le port de Marseille et la Mer Tyrrhénienne. Ils n’ont pas eu besoin d’un long et pénible apprentissage pour s’initier au grand commerce. La tradition n’en avait jamais été perdue chez eux et cela suffit à expliquer la place singulière qu’ils occupent dans l’histoire économique de l’Europe occidentale. Il est impossible de ne point admettre que le droit et les usages commerciaux de l’Antiquité ne soient la cause de la supériorité qu’ils y manifestent et de l’avance qu’ils y ont prise[1]. Des études de détail fourniront sans doute un jour la démonstration de ce que nous avançons ici. Il n’est pas douteux que l’influence byzantine, si frappante dans la constitution politique de Venise durant les premiers siècles, n’ait imprégné aussi sa constitution écono-

  1. Sur le caractère romain du droit vénitien, cf. L. Goldschmidt, Handbuch des Handelsrechts, t. I, p. 150, n. 26 (Stuttgart, 1891).