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s’obstinaient à la conquête de Rome, ils n’en voulaient pas au pape. Maintenant au contraire, c’est la liberté même de la papauté qui est menacée. Puisque le pape dispose de la couronne impériale, il suffira désormais pour l’obtenir de lui faire violence et de contraindre sa faiblesse à exercer, sous la menace, le droit qu’on revendique. Déjà, après la mort de Charles le Chauve, Charles le Gros, en s’approchant de Rome à la tête d’une armée, a forcé Jean VIII à le couronner (881). Puis, bientôt après, on assiste au triste spectacle de l’avilissement simultané du pape et de l’empereur. Après la déposition de Charles le Gros et la rupture définitive de l’unité carolingienne, deux magnats italiens, le marquis de Frioul, Bérenger, et le duc de Spolète, Gui, se disputent l’ancienne couronne lombarde et se font tous deux couronner rois à Pavie. La dignité impénale était vacante. Gui résolut de s’en emparer. Il n’eût qu’à entrer dans Rome avec ses soldats pour l’obtenir du pape Étienne VI (891) et quelque temps après il obligea le successeur de celui-ci, Formose, à la conférer également à son fils Lambert. Jusqu’où l’Empire et la papauté étaient-ils tombés en quelques années ! Formose sentit que pour les relever l’un et l’autre, il fallait faire appel à la force. Arnould, duc de Carinthie, venait de remporter une éclatante victoire sur les Normands et semblait promettre un règne glorieux. Le pape sollicita son appui contre l’odieuse tyrannie qu’il subissait. Arnould passa les Alpes, prit d’assaut Rome défendue par les Spolétains, reçut la couronne impériale (896) puis repartit pour l’Allemagne. Lambert pouvait prendre sa revanche ; elle fut répugnante et tragique comme l’étaient devenues les mœurs politiques et religieuses. Formose étant mort, il le fit exhumer et un synode procéda, en présence du cadavre, à un simulacre de jugement après lequel le corps du pape fut livré à la populace qui s’en fut le jeter dans le Tibre. Arnould ne repassa pas les Alpes et la papauté fut plus que jamais le jouet des intrigants ambitieux qui se disputaient l’Empire comme tant d’autres se disputaient ailleurs un fief ou une province, et sans que le monde y prit plus d’attention. Lambert, mort, Bérenger de Frioul reprit le dessus en Italie. Louis, roi de Bourgogne, lui fit la guerre, le vainquit et profita de l’occasion pour se faire couronner empereur par Benoît IV (900). Cinq ans plus tard, Bérenger s’emparait de lui à Vérone, lui faisait crever les yeux et le chassait de la péninsule. Puis en 919, il se faisait à son tour sacrer empereur par Jean X. Il était difficile