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LIVRE III


L’EUROPE FÉODALE




CHAPITRE PREMIER

LA DISSOLUTION DE L’EMPIRE

I. — Les causes internes

La gloire de Charlemagne ne doit pas faire illusion sur la solidité de son œuvre politique. En réalité, rien n’était plus fragile que l’Empire. La faiblesse de Louis le Pieux, les querelles de ses fils, les incursions des Normands, des Slaves et des Sarrasins n’ont fait que précipiter une dissolution dont les causes sont internes, et d’ailleurs tellement évidentes qu’elles s’imposent d’elles-mêmes à l’observation.

L’immense territoire étendu des marches de l’Elbe et du Danube à la marche de l’Èbre en Espagne et aux possessions du pape en Italie, est dépourvu des caractères essentiels qui constituent un État. Le Royaume mérovingien avait au moins cherché à se constituer sur la base des institutions romaines. Si grossièrement qu’il fût organisé, son absolutisme administratif était à tout prendre un système politique. On cherche vainement quelque chose d’analogue dans la monarchie carolingienne. Tout y paraît incohérent. Le pouvoir du souverain qui devrait donner le mouvement à l’ensemble ne parvient pas à lui imposer son action. Obligés de compter avec l’aristocratie à laquelle ils devaient leur couronne, Pépin le Bref et Charlemagne n’ont pu lui refuser une place dans le gouvernement. Les grands du Royaume délibèrent avec eux et un conventus les réunit habituellement à la cour aux fêtes de Noël et à celles de Pâques. Mais quelle est la compétence, quelles sont les attributions de ces conseillers ? Elles sont aussi vagues et aussi flottantes que la composition même de leurs assemblées, agrégations