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Si ruinées, si dépeuplées qu’elles soient, les villes n’ont point pourtant perdu toute importance. Abandonnées par l’administration civile, elles restent les centres de l’organisation religieuse. Le siège épiscopal, établi sous l’Empire au chef-lieu de chaque cité, demeure debout et la forte armature romaine de l’Église continue à se dresser au milieu des ruines de l’État. Au sein de la société devenue purement agricole, quelque chose du caractère municipal de l’État antique se conserve donc grâce à l’Église. C’est à elle que les villes doivent de n’avoir pas disparu tout à fait, en attendant le jour, encore lointain, où elles deviendront les berceaux d’une nouvelle bourgeoisie.

De même que le pape, après l’abandon de Rome par les empereurs, prend sur lui de protéger et d’administrer les habitants de la Ville éternelle, de même dans chaque cité l’évêque étend son autorité sur les quelques habitants qui se groupent autour de la cathédrale et pourvoyent à la subsistance du clergé. La vie et l’organisation religieuses entretiennent ainsi, au milieu des décombres des villes antiques, une petite clientèle laïque chez laquelle se perpétue, tant bien que mal, l’exercice des métiers et de la technique romaine, mais qui ne présente plus rien de commun, ni par l’esprit qui l’anime, ni par l’administration qui la régit, avec les populations municipales d’autrefois.

II. — Les grands domaines

La disparition des villes entraîna une transformation profonde de l’économie rurale. Les produits du sol, qui s’écoulaient sur les marchés urbains, perdirent peu à peu leurs acheteurs. La division du travail social qui, dans toutes les sociétés avancées, met les villes et les campagnes en rapports de production et de consommation réciproques venant à cesser, il se fit que la population agricole ne produisit plus désormais que pour ses propres besoins, ou si l’on veut, que, constituant désormais à elle seule toute la nation, elle se trouva être, tout ensemble, le producteur et le consommateur des biens de la terre. Il n’y eut plus qu’une seule espèce de richesse, la richesse foncière, qu’une seule espèce de travailleurs, les travailleurs de la glèbe, et les seules relations économiques qui existèrent entre les hommes furent conditionnées par leur qualité de propriétaires ou de tenanciers.

On ne peut se faire aucune idée précise, faute de renseignements,