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circonstances, mais qui entre lui et Rome établissait un lien permanent, celui de patricius Romanorum, patrice des Romains.

La première guerre de la royauté nouvelle fut donc entreprise dans l’intérêt de l’Église, et ceci répond bien au caractère qui lui fut imprimé dès l’origine. Le pouvoir royal des Mérovingiens avait été purement laïque ; celui des Carolingiens présente une profonde empreinte religieuse. La cérémonie du sacre, qui apparaît pour la première fois lors du couronnement de Pépin, fait du souverain dans une certaine mesure, un personnage sacerdotal. Lui-même affirme sa soumission aux ordres de Dieu et sa volonté de le servir, non seulement en faisant figurer la croix parmi les emblèmes, mais en s’intitulant par humilité chrétienne « roi par la grâce de Dieu ». Désormais – et en ceci la royauté carolingienne inaugure la tradition qui se continuera après elle durant des siècles – l’idéal du roi ne sera plus d’être un César, un potentat ne puisant sa force et son autorité qu’à des sources terrestres, il consistera à faire régner sur cette terre les préceptes divins, à gouverner suivant la morale chrétienne, c’est-à-dire d’accord avec l’Église. C’est la évidemment l’idée que Saint Boniface et Étienne II ont dû communiquer à Pépin et qu’il a léguée à Charlemagne[1]. On la trouve exprimée dans tous les traités du ixe siècle sur le pouvoir royal, dans le Via Regia de Smaragde, comme dans le De rectoribus christianis de Sedulius. En réalité, elle fait de la religion une affaire d’État. Ceux-là seuls qui appartiennent à la société chrétienne peuvent appartenir à la société publique, et l’excommunication équivaut à la mise hors la loi.


CHAPITRE III

LA RESTAURATION DE L’EMPIRE EN OCCIDENT

I. – Charlemagne (768-814)

Charlemagne s’est décerné lui-même le nom de grand, et la postérité a si complètement ratifié ce titre que, par un phénomène unique, elle l’a indissolublement uni à son nom (Charlemagne,

  1. L’idéal antique ou romain du pouvoir monarchique est remplacé par l’idéal chrétien, en attendant sa réapparition au xiie siècle.