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II. — Les moines et l’entrée en scène de la papauté

L’ascétisme qui découle nécessairement d’une conception exclusive du christianisme, s’était rapidement développé, dès le iie siècle, dans les provinces orientales de l’Empire romain. Durant longtemps ses adeptes furent de simples laïques renonçant aux affaires et aux biens de ce monde, pour se consacrer dans la solitude au salut de leur âme. Ces solitaires furent les premiers moines (μοναχος, μονος). Saint Pacôme (348) eut l’idée de leur imposer une règle et, à cette fin, de les organiser en communauté. Les moines qui adoptèrent ce nouveau genre de vie, se groupèrent dans des enclos formés de cellules construites autour d’une chapelle centrale. Pour les distinguer des solitaires, on donna aux habitants de ces pieuses colonies le nom de cénobites. C’est à l’institution cénobitique que se rattachent les monastères occidentaux dont le premier fut fondé au vie siècle, dans les environs de Naples, sur le Mont Cassin, par Saint Benoît. L’originalité et en même temps la portée de l’œuvre de Benoît († c. 543), est d’enlever le moine à la vie laïque, d’en faire un religieux lié à sa vocation par les trois vœux perpétuels d’obéissance, de pauvreté et de chasteté, et de lui imposer l’obligation de la prêtrise. À côté du clergé séculier, dont les origines remontent à la constitution de l’Église primitive, apparaît ainsi un clergé nouveau, sorti de l’ascétisme et s’ouvrant à ceux qui veulent réaliser en ce monde l’idéal de la vie chrétienne. La règle — à laquelle il doit son nom — n’est pas seulement une règle de prières et d’exercices de piété, elle l’oblige encore à honorer Dieu par le travail, soit le travail manuel, soit l’étude.

La diffusion des monastères ne s’accomplit tout d’abord qu’assez lentement. Ils se répandirent peu à peu en Italie, gagnèrent le sud de la Gaule, puis, grâce à l’apostolat des Irlandais, se propagèrent en assez grand nombre dans le nord du royaume franc au cours du viie et du viiie siècle[1]. Au reste, ils étaient sans rapports les uns avec les autres, sans action au dehors et assez mal vus, semble-t-il, des évêques diocésains qui ne savaient trop que faire de ces nouveaux venus.

Il était réservé à la papauté d’utiliser cette grande force qui

  1. Les monastères d’Irlande étaient très différents des monastères bénédictins. Mais c’est conformément à l’organisation de ceux-ci que les missionnaires irlandais instituèrent ceux qu’ils fondèrent sur le continent.