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tretient la richesse. Aristocratie et ploutocratie, voilà peut-être en fin de compte les deux mots qui caractérisent le mieux la transformation sociale qui s’est accomplie à l’époque de la Renaissance.

III. — Les idées et les mœurs

Il y a, semble-t-il, entre l’évolution intellectuelle de l’Italie et celle des pays au nord des Alpes, à l’époque de la Renaissance, une différence assez frappante. En Italie, l’orientation nouvelle des idées, des mœurs, du sentiment artistique débute au moment même où le développement économique de la nation est arrivé à son apogée. Elle ne se manifeste point en même temps que lui, mais après lui, et il commence même déjà à décliner qu’elle progresse encore. Elle est la fleur merveilleuse de toute la civilisation antérieure, l’œuvre de pensée et de beauté succédant à l’œuvre de force. Il en est d’elle comme il en a été, dans la Grèce antique du siècle de Périclès ; Athènes au ive siècle, Florence au milieu du xve siècle rayonnent d’une gloire qui ne correspond plus à leur vigueur réelle ; l’éclat éblouissant qu’elles jettent sur le monde, avant de céder la place à des successeurs plus robustes, a la splendeur mais aussi la brièveté d’un coucher de soleil. C’est au moment même où s’épanouit le génie de Machiavel, de Guichardin, de Raphaël et de Léonard de Vinci que la découverte du Nouveau Monde détourne de la Méditerranée le courant de la vie européenne.

Il en va tout autrement au nord des Alpes. Ici, la Renaissance n’est pas un coucher de soleil, mais une aurore. Avec elle commence, à tous les égards et dans tous les domaines de l’activité sociale, une vie nouvelle dont les phénomènes économiques que l’on vient d’esquisser ne donnent qu’une face et dont il faut montrer maintenant la physionomie morale. L’historien est malheureusement obligé d’exposer à part ce qui s’est passé ensemble. Mais on ne doit pas croire que le capitalisme ait provoqué le renouveau d’idées qui se manifeste en même temps que lui. L’un et l’autre sont les symptômes différents d’une même crise de croissance. Et il est curieux de constater que, pour l’un comme pour l’autre, cette crise se divise en deux périodes correspondantes. Ce que la découverte du Nouveau Monde a été pour le capitalisme, la Renaissance italienne l’a été pour le mouvement intellectuel. Il commence indépendamment d’elle, mais il ne se précipite et ne s’impose qu’en se soumettant à sa direction.