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II. — La Renaissance dans le reste de l’Europe

La Renaissance du nord est bien loin de n’être qu’une simple imitation de l’Italie. Si elle n’avait été que cela, elle serait un phénomène assez superficiel et sans très grande portée. Non. L’essentiel est qu’au moment où elle reçoit la Renaissance italienne, elle est, tout à fait indépendamment de l’Italie, dans une crise de transformation sociale et économique. Le milieu du xve siècle ouvre pour elle une époque de renouveau, un travail profond qui, sans la remanier aussi violemment dans sa constitution intime que l’a fait au xiie siècle le réveil du commerce et que devait le faire au xixe siècle la force de la vapeur, l’a cependant ébranlée tout entière et lui a donné la forme qu’elle devait conserver à peu près jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. C’est ce sourd travail de 1450 à 1550 environ qu’il faut bien saisir pour comprendre et la Renaissance et la Réforme. Non point du tout qu’il en soit la cause, mais parce qu’il explique la manière dont elles ont agi, la force qu’elles ont mise en mouvement pour la résistance comme pour l’attaque.

La grande nouveauté qui apparaît alors, c’est le capitalisme. Ce n’est pas à vrai dire qu’il apparaisse pour la première fois. Il avait déjà pris des développements considérables au xiie et au xiiie siècles et le patriciat urbain est l’héritier des marchands enrichis de cette époque. Deux causes avaient arrêté cette première expansion. D’abord la concurrence irrésistible des capitaux italiens qui, dès le xiie siècle finissant, s’empare partout du commerce de l’argent. En second lieu, la réglementation des métiers en faveur de la petite bourgeoisie. A la libre expansion économique avait succédé – nous aurons l’occasion de le constater plus loin encore — une époque de réglementation.

Depuis lors, le capitalisme, au nord des Alpes, s’il n’a pas disparu tout à fait, est gêné, surveillé, ligotté. Il ne peut plus agir qu’en tournant les règlements et d’ailleurs il est faible, écrasé qu’il est par la concurrence italienne. Les lois ecclésiastiques et civiles sur le prêt à intérêts exercent aussi leur action. Bref, les patriciens se transforment en une classe de rentiers ne faisant plus d’affaires. On a pu prétendre que le grand marchand de profession n’avait pas existé au Moyen Age. C’est faux si l’on prend cette affirmation dans sa généralité ; c’est assez vrai si on la restreint au xive siècle. Les seuls individus qui fassent encore quelques affaires assez consi-