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qu’il est militaire, qu’il est maritime, on peut deviner quel nouveau facteur de force est sur le point de prendre part à la vie européenne.

II. — Les Turcs

Le seul résultat de l’Empire latin improvisé à Constantinople par la quatrième Croisade avait été de hâter la décomposition de l’État byzantin. Dans la plupart des îles de la Mer Ionienne et le long des côtes s’étaient fondés des comptoirs vénitiens et génois. Des principautés féodales, duché d’Athènes, duché d’Achaïe, se partageaient la Grèce. Les Bulgares et les Serbes s’étaient emparés de la Thrace et de la Macédoine. Des possessions européennes de l’Empire, il ne restait plus guère que Constantinople, Salonique, Andrinople et Philippopoli, quand Michel VII Paléologue, en 1261, y rétablit la domination grecque. De l’autre côté du Bosphore, en Asie Mineure, où les Latins n’avaient pas pénétré, l’Empire conservait cependant l’Anatolie occidentale avec Brousse, Nicée, Nicomédie.

Cet Empire était évidemment destiné à tomber en pièces. Exploité par Venise et Gênes, il avait perdu toute vitalité économique et n’était plus capable de pourvoir aux immenses dépenses qu’en exigeait la défense. L’industrie et le commerce s’éteignant y avaient fait place à la prépondérance des grands propriétaires assez analogue à celle qui s’était constituée en Occident après la chute de l’Empire. Tel que les conjonctures le présentaient sous le règne de Michel VIII (1261-1282), il paraissait destiné à être prochainement l’objet d’un triple démembrement. De Sicile, Charles d’Anjou convoitait la Grèce et en préparait visiblement la conquête ; les Serbes s’agrandissant au nord, ne cachaient pas leur ambition de s’emparer de Constantinople, et enfin, en Asie Mineure, il y avait les Turcs ! La catastrophe des Vêpres Siciliennes, à laquelle les intrigues de Michel VIII ne furent pas étrangères, mit les Angevins hors de cause. Elle les obligea à se détourner de l’Orient pour faire face à leurs rivaux aragonais. Du point de vue européen, ce fut un grand malheur. La formation, au sud de l’Italie, d’un État assez puissant pour soumettre la Grèce à son influence eût été la meilleure des sauvegardes contre la poussée turque. Car il était certain que les Slaves des Balkans ne suffiraient pas à eux seuls à l’arrêter. Puisque, en tout état de cause, l’Empire grec n’était plus capable de se défendre lui-même, l’essentiel était d’empêcher qu’il ne fût arraché