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CHAPITRE IV

L’ESPAGNE. — LE PORTUGAL. — LES TURCS

I. — L’Espagne et le Portugal

Les Croisades avaient abordé l’Islam en son centre. Le monde mahométan entourait de toutes parts la Palestine et pour se maintenir et contre-balancer sa poussée sur cette côte étroite sans être jeté à la mer, il eut fallu pouvoir déployer une vigueur offensive qu’à cette distance et avec les ressources dont il disposait, l’Occident n’était pas capable de dépenser. Aussi, après avoir perdu les positions enlevées par l’élan de la première Croisade, s’efforça-t-il vainement de les reconquérir. Après Saint Louis, le Levant cessant d’être une base d’opérations militaires, devint et resta jusqu’à la découverte du Nouveau Monde l’étape du commerce européen avec celui de l’Orient.

La situation respective des Musulmans et des Chrétiens était toute autre en Espagne. Les chances des deux adversaires s’y trouvaient beaucoup moins inégales. Ils s’y rencontraient de front, sur un champ de bataille bien délimité et possédaient l’un et l’autre, en cas d’échec, la faculté de se replier en arrière et de s’y refaire en attendant de nouveaux combats. Dans ces conditions, la victoire devait finalement appartenir à celui qui conserverait le plus longtemps l’énergie agressive, c’est-à-dire aux plus pauvres, c’est-à-dire donc aux Espagnols. Car la foi toute seule ne les pousse pas à la guerre. L’âpre désir de posséder ces belles villes et ces belles campagnes que l’industrie et l’agriculture musulmanes font insolemment contraster avec l’âpreté de leurs montagnes, rend plus brûlante leur haine de l’infidèle. Leur poussée contre l’Islam fait penser à une invasion de barbares, du moins à ses débuts. Mais ces barbares sont chrétiens, et c’est ce qui les empêchera de se fondre avec les vaincus, comme les Germains l’ont fait jadis au milieu des populations romaines. La race n’y a été pour rien. Les Turcs, au xe et au xie siècle, se sont bien assimilés, malgré leur origine mongole, à la civilisation sémitique des Arabes de Bagdad. Rien ne prouve que si les Espagnols avaient été païens comme eux au moment de leur contact avec l’Islam, ils ne s’y fussent également con-