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inutile ou plutôt ne se serait pas faite ; qu’ils ont importé la boussole. Au reste, ces innovations et bien d’autres ne devaient passer que beaucoup plus tard aux peuples chrétiens. Au début, elles n’ont servi qu’à faire de l’Islam, pour ses voisins d’Europe, un ennemi d’autant plus redoutable qu’il était plus riche et mieux outillé. Du viie au xie siècle, c’est lui qui sera sans conteste le maître de la Méditerranée. Les ports qu’il y construit, Le Caire qui succède à Alexandrie, Tunis, Kaïrouan, sont les étapes du commerce qui circule du Détroit de Gibraltar à la Mer de Chine par les ports d’Égypte qui communiquent avec la Mer Rouge, par ceux de Syrie où aboutit la route de Bagdad et du Golfe Persique. La navigation chrétienne se borne à un timide cabotage le long des côtes de l’Adriatique, de l’Italie du Sud et parmi les îles de l’Archipel.

Toutes les grandes voies de mer sont aux Musulmans.


II. — Les conséquences


Un événement imprévu entraîne toujours une catastrophe proportionnée à son importance. Il se jette pour ainsi dire au travers du courant de la vie historique, interrompt les séries de causes et de conséquences qui la constituent, les fait refluer en quelque sorte, et par leurs répercussions inattendues, bouleverse l’ordre naturel des choses. C’est ce qui se passa lors de l’invasion musulmane. Depuis des siècles, l’Europe gravitait autour de la Méditerranée. C’est par elle que s’était propagée la civilisation, par elle que ses diverses parties communiquaient les unes avec les autres. Sur tous les rivages l’existence sociale, dans ses caractères fondamentaux, était la même, la religion la même, les mœurs et les idées les mêmes ou très proches de l’être. L’invasion germanique n’avait rien modifié d’essentiel à cette situation. Malgré tout, au milieu du viie siècle, on peut dire que l’Europe constituait encore, comme au temps de l’Empire romain, une unité méditerranéenne.

Or, sous la poussée soudaine de l’Islam, cette unité se rompt tout à coup. Dans la plus grande partie de son étendue, cette mer familière et presque familiale, cette mer, que les Romains appelaient « notre mer » (mare nostrum), devient étrangère et hostile. L’intercourse qui s’était jusqu’alors opérée par elle entre l’Occident et l’Orient est interrompue. Ils sont brusquement séparés l’un de l’autre. La communauté dans laquelle ils avaient vécu durant si