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CHAPITRE III

L’EMPIRE. — LES ÉTATS SLAVES ET LA HONGRIE

I. — L’Empire

L’Allemagne a pris, durant le grand interrègne, la forme politique qu’elle conservera jusque dans les Temps Modernes. Il est assez difficile de définir sa constitution où se rencontrent sans s’ajuster une monarchie à laquelle manquent tous les attributs de la souveraineté, une multitude de princes ecclésiastiques ou laïques, des républiques urbaines (villes libres), des nobles « immédiats » jouissant d’une indépendance complète, et une diète (Reichstag) dont les attributions sont aussi mal définies que la composition est bizarre. Une anarchie à forme monarchique, voilà peut-être le nom qui conviendrait le mieux à cet être politique extraordinaire à la fois dépourvu de législation commune, de finances et de fonctionnaires. Il est rigoureusement vrai de dire que c’est un ensemble composé de parties qui ne constituent pas un tout. Comparé à la France et à l’Angleterre, il apparaît comme quelque chose d’amorphe, d’illogique, de presque monstrueux. C’est que, dans cette étrange machine, le ressort central soumis trop tôt à une tension trop forte, s’est cassé. Dès la fin de la guerre des investitures, il est certain que la royauté, qui partout ailleurs a formé l’État, n’aura plus ici la force de remplir sa tâche. Ses ambitions impériales l’ont lancée dans des aventures d’où elle est sortie à moitié brisée, et si elle a rassemblé ce qui lui restait de forces pour essayer de prendre sa revanche sous les Hohenstaufen, ce n’a été que pour aboutir finalement à une catastrophe décisive. Depuis l’élection de Rodolphe de Habsbourg (1273) elle est tellement dénuée de prestige et d’autorité qu’on se demande pourquoi les électeurs se donnent encore la peine de nommer un roi. Peut-être, au fond, est-ce l’idée impériale, cause de sa chute, qui a maintenu son existence. La nécessité d’un empereur qui ne répondait plus à rien dans la réalité des choses, a été exigée par la tradition. Or le roi d’Allemagne étant l’empereur désigné, on eût supprimé l’Empire en le supprimant. Il a donc subsisté et le plus paradoxal des destins a voulu qu’il ne conservât son pouvoir royal illusoire que pour recueillir un pouvoir impérial devenu plus illusoire encore.