Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/277

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 260 —

Urbain II se mit en rapports avec le plus jeune frère du roi, Charles d’Anjou, devenu, par mariage, en 1246, comte de Provence. Depuis longtemps déjà l’ambition de Charles suivait attentivement les affaires d’Italie, où les Guelfes voyaient en lui leur protecteur et leur chef futur. En 1266, il recevait à Rome, des mains de Clément IV, la couronne de Sicile et partait, à la tête d’une nombreuse et brillante chevalerie, excitée par l’appât des richesses du pays, se mettre en possession de son royaume. Les armes françaises soutinrent brillamment la réputation qu’elles s’étaient acquises depuis la journée de Bouvines. La bataille de Bénévent (février 1266) détruisit l’armée de Manfred, qui y perdit la vie. Quelques mois plus tard (août 1268), un sort semblable atteignit à Tagliacozzo celle que Conradin amenait d’Allemagne. Le jeune prince parvint à s’échapper, fut repris, livré au vainqueur, condamné à mort pour crime de lèse-majesté et exécuté. La dynastie des Hohenstaufen, cette « race de vipères », comme disait Innocent IV, était anéantie. Le pape ne permit pas que Conradin, qu’il avait excommunié, fut inhumé en terre bénite. Quelque temps auparavant, l’archevêque de Cosenza avait fait enlever le corps de Manfred du tombeau que les chevaliers français lui avaient élevé pour honorer son courage, et avait ordonné qu’il fut enfoui au bord du Verde. Sa femme mourut en prison. Tant d’acharnement dans la victoire de la part de la curie, suffit à expliquer le sort du pauvre Conradin. Les romantiques du xixe siècle n’ont pas manqué de pleurer en lui une victime de la France, ennemie héréditaire de l’Allemagne, et leur indignation n’a pas laissé d’attiser à son sujet, les haines nationales dont d’adroits politiques devaient si habilement se servir. Rien ne porte plus complètement à faux que ces rancunes rétrospectives. L’hostilité de la France et de l’Allemagne, que l’on a si soigneusement entretenue de nos jours, est de date très récente et l’on n’en pourrait découvrir aucune trace au xiii{{e{{ siècle. Conradin n’a été immolé qu’à la raison d’État, et la responsabilité de sa mort, après le pape et Charles d’Anjou, incombe à Frédéric II lui-même. Car c’est Frédéric II qui le premier a poussé jusqu’à ses dernières conséquences et appliqué sans pitié à ses adversaires le principe qu’aucune loi n’est supérieure à l’intérêt du prince. Le droit romain ne justifiait-il pas cette théorie qui s’accordait si admirablement avec son absence de scrupules ? Les juges de Conradin ne furent que ses disciples ; il devait en avoir d’autres plus tard, dans les tyrans italiens.