Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/258

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

III. — L’Allemagne


L’Empire n’a pas seulement été fatal à l’Allemagne parce qu’il a imposé à ses rois une politique universelle, leur a fait sacrifier la nation à l’Église et a finalement abouti à leur faire lâcher la proie pour l’ombre ; il a eu encore pour conséquence d’introduire l’intervention directe du pape dans les affaires du pays. Le roi d’Allemagne, ou pour parler plus exactement le roi des Romains, étant empereur désigné, Rome a prétendu, dès qu’elle en a eu la force, exercer un droit d’approbation sur son élection. Les Hohenstaufen avaient bien reconnu le péril et, pour y parer, avaient aspiré à rendre leur dynastie héréditaire. Mais l’hérédité, condition indispensable de tout pouvoir monarchique et partant de tout État, puisque la monarchie est au Moyen Age la seule forme possible de l’État, l’hérédité qui faisait la force du roi d’Angleterre et du roi de France, n’était plus possible en Allemagne depuis le commencement du xiie siècle. Le pays n’était plus qu’une agglomération de principautés ecclésiastiques et de principautés laïques incapables d’une action commune et plus incapables encore de supporter le gouvernement d’une autorité centrale. Expliquer cette situation par la fable convenue de l’individualisme germanique, c’est ne rien dire. Car les principautés territoriales qui ne se rencontrent ni chez les Scandinaves, ni chez les Anglo-Saxons, peuples germaniques, se rencontrent chez les Français, peuple roman. À droite comme à gauche du Rhin leur origine se trouve dans la dissolution de l’Empire carolingien coïncidant avec son état économique dominé par la grande propriété ; elles sont le produit de l’accaparement des droits royaux par des fonctionnaires devenus autonomes grâce à leur puissance domaniale. Seulement, en France, le roi lui aussi possède sa terre ; il est, comme ses grands vassaux, enraciné dans le sol et, depuis le xe siècle, il attend avec patience le moment où il pourra revendiquer sur eux les droits qu’il tient de sa couronne. Ce moment, le xiie siècle le lui offre en le désignant comme le chef de la résistance à l’Angleterre, en orientant vers lui les bourgeoisies, et en faisant de sa résidence la ville « capitale » du pays vers laquelle se concentre l’activité nationale que suscite et qu’augmente la grande transformation économique et sociale déclenchée par la renaissance du commerce et la circulation de plus en plus grande des hommes et des choses. En Allemagne, au con-