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tirent de trop beaux bénéfices de la Croisade depuis que l’on prend la voie de mer, il disparaît très tôt. Et enfin, il y a la politique. Il y a celle des rois du nord qui ne peuvent plus se lancer dans de pareilles aventures, sans motifs, et il y a la politique sicilienne de Frédéric II et de Charles d’Anjou, qui vise à des conquêtes. La foi reste vive, mais la Croisade n’est plus possible. Le pape seul restera fidèle à l’entreprise. Ce sera sa pensée constante. Elle survivra à tout : au transplantement des Teutoniques en Prusse, au supplice des Templiers. Les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem seront en somme tout ce qui restera de l’état d’esprit primitif. Pour le reste, dans le sens chrétien, dans le sens où l’ont entendue et voulue les papes, la Croisade a échoué et avec elle la politique pontificale. Elle s’est brisée contre les réalités d’une Europe dont les conditions d’existence politique et sociale avaient évolué pendant qu’elle restait fidèle à son idéal. Elle s’est brisée contre l’impossible. En somme, la politique universelle a réussi aussi peu dans le spirituel avec les papes, qu’avec les empereurs dans le temporel[1].


CHAPITRE II

LA PAPAUTÉ, L’ITALIE ET L’ALLEMAGNE

I. — L’Italie

Comparée au reste de l’Europe occidentale, l’Italie se caractérise, depuis le xie siècle, comme le pays des villes. Nulle part elles ne sont aussi abondantes et aussi actives, et nulle part elles ne jouent un rôle aussi prépondérant. Au nord des Alpes, même dans les régions où elles sont le plus développées, comme en Flandre et dans les Pays-Bas, elles sont bien loin de dominer tout le mouvement social ; la noblesse et les classes rurales conservent à côté d’elles leur existence indépendante et leurs intérêts différents.

  1. L’esprit de la Croisade pur subsiste cependant en Espagne, parce que là il s’associe à la nécessité même pour le peuple de se maintenir. Ailleurs le contact avec l’Islam a enrichi le commerce ; en Espagne, il continue à nourrir la guerre.