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cet esprit chimérique crut-il l’occasion bonne de relever la majesté impériale en la mettant à la tête de la chrétienté pour reconquérir le tombeau du Christ ? Il prit la croix en 1183. Le 10 juin 1190, un vulgaire accident de cheval lui faisait trouver la mort dans les eaux de Cydnus.


II. — Jusqu’à Bouvines


Frédéric Barberousse laissait à son fils Henri VI, une Allemagne ingouvernable. Au lieu d’améliorer la situation de la dynastie, la défaite de Henri le Lion l’avait aggravée. Retiré en Angleterre, celui-ci avait attiré l’attention et l’ambition des Plantagenêts sur les affaires d’Allemagne et assuré leur appui à ses partisans. Aussi le nouveau règne fut-il salué par une révolte des Guelfes qu’il fallut apaiser par des concessions et des promesses. Plus encore que son père, Henri VI négligea l’Allemagne pour l’Italie. L’universalité de la politique impériale ne la liant à aucune nation, son siège devait naturellement se trouver là où elle trouvait la force. L’héritage du royaume de Sicile, que Henri avait recueilli en 1189 à la mort de son beau-père Guillaume le Bon, le fixa au sud de la Péninsule et décida de sa carrière.

Élevé au rang de royaume en faveur de Roger II, en 1130, par le pape Innocent II, l’État normand de Sicile était sans contredit le plus riche et, au point de vue du développement économique, le plus avancé des États occidentaux. Byzantin dans sa partie continentale, musulman dans sa partie insulaire, favorisé par l’énorme développement de ses côtes et par la navigation qu’il entretenait à la fois avec les Mahométans de la côte d’Afrique, les Grecs des îles de la Mer Égée et du Bosphore ainsi qu’avec les établissements des croisés en Syrie, il frappait autant par son absence de caractère national que par la variété de sa civilisation dans laquelle venaient se confondre et s’amalgamer celle de Byzance et celle de l’Islam. Par dessus le mélange hybride de leurs peuples, les souverains normands avaient établi une constitution féodale par ses formes mais absolutiste en réalité et qui avait su s’approprier les pratiques de l’administration byzantine. Malgré leur dévouement à la papauté, ces princes, par clair esprit politique, laissaient leurs sujets musulmans comme leurs sujets orthodoxes pratiquer leur religion. Leurs finances étaient admirables. La culture du riz et du coton introduite par les Musulmans en Sicile, les industries