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CHAPITRE III

L’EMPIRE

I. — Frédéric Barberousse

Le Concordat de Worms n’avait pas terminé la lutte entre l’Empire et la Papauté. Posée dans toute son ampleur sous Grégoire VII, la question du rapport des deux pouvoirs universels s’était ensuite, par l’épuisement des deux parties, restreinte à la querelle des investitures et sur ce terrain même n’avait abouti qu’à une transaction. L’empereur y avait perdu autant que le pape y avait gagné, mais ni l’un ni l’autre ne pouvait se contenter d’un état de choses qui laissait sans solution le conflit de principes qui les avait mis aux prises.

Il fallait savoir si la conception carolingienne continuerait à subsister, c’est-à-dire si l’Église, considérée la fois comme ensemble des fidèles et société politique, conserverait à sa tête deux chefs indépendants l’un de l’autre, le premier préposé aux âmes et le second aux corps, ou bien au contraire s’il appartenait au pape de disposer de la couronne impériale, s’il possédait à la fois, pour employer la langue du temps, le glaive spirituel et le glaive temporel et si l’empereur ne recevait de lui ce dernier que comme un vassal reçoit un fief de son suzerain. Seule une nouvelle guerre pouvait donner la réponse à cette question, aucun compromis n’étant possible entre les affirmations contradictoires des deux adversaires.

Cette guerre, qui devait éclater sous Frédéric Barberousse, était perdue d’avance pour l’Empire. Si la société européenne reconnaissait l’autorité universelle du pape dans l’Église, elle ne pouvait concéder la même portée à celle de l’empereur. C’eût été, en effet, lui subordonner dans l’ordre temporel et réduire au rôle de clients tous les États occidentaux. Depuis Othon Ier, la théorie impérialiste ne répondait plus à la réalité des choses parce que l’Empire ne renfermait plus, comme au temps de Charlemagne, tous les chrétiens d’Occident. Aucune protestation formelle ne s’était encore élevée contre elle parce qu’aucun prince n’était assez puissant pour rompre en visière avec les souverains allemands. Mais quelle apparence y avait-il qu’au milieu du xiie siècle, les jeunes et robustes monar-