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Et bientôt les fils mêmes du roi, appuyés par une partie des barons et des chevaliers, se révoltent contre leur père et, renforcés par des auxiliaires français, guerroyent contre lui en Guyenne et en Normandie. Henri sut tenir tête aux révoltés et n’abandonna rien de ses prétentions. Il aurait fallu, pour comprimer le mécontentement qu’elles avaient fait naître, que ses successeurs fussent dignes de lui. L’incapacité brouillonne et téméraire de Richard Cœur de Lion (1189-1199), l’indignité et la lâcheté de Jean sans Terre (1200-1216), ruinèrent d’autant plus rapidement l’œuvre de leur père qu’ils eurent à combattre, en Philippe Auguste, le premier politique de son temps et le premier grand roi qu’ait eu la France. La lutte des deux États occidentaux se complique et s’étend en devenant plus ardente. Chaque parti cherche des alliés à l’extérieur. Les rois d’Angleterre s’unissent aux Guelfes d’Allemagne tandis que les rois de France soutiennent les Hohenstaufen. La victoire de Bouvines, la première des grandes batailles européennes, fut un coup aussi terrible pour Othon IV que pour Jean sans Terre. Elle décida en même temps du conflit politique qui, depuis la mort d’Henri II, était pendant en Angleterre.

L’opposition féodale qu’avait fait naître les tendances absolutistes de Henri II, un instant assoupie pendant le règne tout militaire de Richard, se réveilla plus active sous Jean sans Terre. Pour soutenir la guerre contre Philippe Auguste, le roi avait frappé de nouveaux impôts et contracté des dettes écrasantes. D’éclatantes victoires eussent pu les faire oublier. La confiscation puis l’occupation de la Normandie et du Poitou par la France, couronnées par l’humiliation de Bouvines, déchaînèrent la révolte. Les barons la dirigèrent, mais le clergé et la bourgeoisie soutinrent leur cause qui se confondait avec la leur. Également opprimées par le despotisme, les trois classes privilégiées agirent, d’une extrémité du pays à l’autre, de commun accord. Plus forte et plus centralisée était la royauté anglaise, plus générale et plus unanime fut la résistance qu’elle souleva contre elle. Le gouvernement royal avait fait une nation de ce peuple où se parlaient deux langues ; cette nation aujourd’hui d’un même mouvement se redressait contre lui et l’unité qu’il lui avait donnée, le laissait isolé en face d’elle. La lutte fut courte. Vaincu, Jean capitula et se laissa dicter la Grande Charte (1214).

On pourrait l’appeler la première déclaration des droits de la nation anglaise. Car elle est aussi nationale que la révolte d’où elle