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mais elle ne posséda pas de principautés ; elle eut des tenanciers, mais elle n’eut pas de sujets.

Ainsi, par une exception unique, le roi possède en Angleterre un pouvoir intact ; il n’aura pas comme le roi de France à combattre longuement et péniblement contre ses vassaux, pour reconquérir sur eux ses prérogatives. Dès l’origine, l’État est tout entier à lui, et de là la différence de l’évolution politique en deçà et au delà de la Manche. En France, le roi, très faible à l’origine et n’ayant en face de lui que des princes particuliers, élève peu à peu son pouvoir sur les ruines des leurs, s’augmente de tout ce qu’il leur reprend et, se fortifiant dans la même mesure où il rétablit l’unité du royaume, tend de plus en plus à mesure qu’elle s’achève, à la monarchie pure. En Angleterre, au contraire, où dès le début l’unité politique est aussi complète que l’autorité royale est solide, la nation forme corps en face du roi et le jour où elle sentira trop lourdement peser sur elle le pouvoir monarchique, elle se trouvera, par l’union de ses forces, capable de lui imposer sa participation au gouvernement et de lui arracher des garanties.

III. — La Grande Charte

Ni sous Guillaume le Conquérant (1087), ni sous ses deux successeurs de la maison de Normandie, Guillaume II (1100) et Henri Ier (1135), elle n’eut à se plaindre d’aucun grief. Fidèles à la tradition féodale, les rois prenaient le conseil de leurs grands vassaux et ils se gardèrent de tout conflit avec eux. Les premières difficultés éclatèrent à la mort de Henri Ier, qui ne laissait pas d’enfants. Étienne de Blois, fils d’une fille du Conquérant, revendiqua la couronne et s’en empara. Son règne ne fut que la transition agitée vers une nouvelle époque. Elle s’ouvre à l’avènement, en 1154, du premier Plantagenêt, Henri II (1154-1189).

Les premiers rois d’Angleterre n’avaient possédé sur le continent que leur duché de Normandie. Henri Plantagenêt y ajouta celui d’Anjou qu’il tenait de ses ancêtres, et celui de Guyenne, dont en politique « réaliste » il s’était empressé d’épouser l’héritière Éléonore d’Aquitaine que le roi de France, Louis VII, époux moins complaisant et moins pratique, venait de répudier. Ainsi toutes les côtes de France, à l’exception de la sauvage Bretagne, appartenaient au roi d’Angleterre. Les territoires qu’il possédait sur le continent étaient plus étendus que son royaume insulaire. Mais sa