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prendre du service dans les légions et auxquels la fortune avait souri. C’est un barbare que Stilicon, c’en est un autre qu’Aétius, les deux derniers grands hommes de guerre de l’Antiquité occidentale. Et que l’on imagine ce qu’il devait y avoir de leurs compatriotes poussés par la protection de tels hommes, dans l’administration civile aussi bien que dans l’administration militaire. On rencontrait même à Rome ou à la cour impériale des fils de rois du nord, qui venaient s’y initier à la langue et à la civilisation latines. L’accoutumance se faisait donc insensiblement. On se connaissait mieux. Le péril existait toujours, mais il était moins pressant.

L’invasion des Huns en Europe (372) lui rendit brusquement toute sa gravité. Les Goths, qui s’étaient établis sur les deux rives du Dniester, les Ostrogoths, comme leur nom l’indique, à l’est du fleuve, les Wisigoths à l’ouest, ne cherchèrent pas à résister à ces cavaliers mongols, dont le seul aspect les frappait d’effroi. Devant eux, les Ostrogoths refluèrent en désordre ; les Wisigoths, pressés par leur recul, se trouvèrent jetés sur la frontière du Danube. Ils demandèrent le passage. La soudaineté de l’événement avait empêché de prendre des mesures. On n’avait rien prévu. La terreur même des Wisigoths prouvait qu’ils n’hésiteraient pas à recourir à la force si on repoussait leur prière. On leur permit de passer, et ils passèrent durant plusieurs jours sous les yeux des postes romains ébahis, hommes, femmes, enfants, bétail, sur des radeaux, dans des canots, les uns accrochés à des planches, d’autres à des outres gonflées ou à des tonneaux. C’était tout un peuple qui émigrait, conduit par son roi.

Mais en cela justement gisait le danger de la situation. Que faire de ces nouveaux venus ? Il était impossible de les éparpiller dans les provinces. On se trouvait devant une nation ayant tout entière quitté son territoire pour occuper une nouvelle patrie. Cette patrie, il allait donc falloir la lui faire dans l’Empire, admettre à vivre sous la souveraineté romaine, un peuple qui conserverait ses institutions propres et son roi particulier. C’était la première fois qu’un tel problème se présentait. On chercha à s’en tirer par une subtilité. Le roi des Wisigoths fut reconnu comme général romain, si bien que, sans cesser d’être le chef national de son peuple, il entrait dans l’administration impériale, solution bizarre et équivoque d’un état de choses qui ne l’était pas moins.

La première conséquence en fut de donner à la révolte des