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sition du droit domanial et du droit commercial, des échanges en nature et des échanges en argent, de la servitude et de la liberté.

Naturellement, les autorités sociales n’ont pas accepté sans résistance les revendications de la bourgeoisie naissante. Comme toujours, elles ont cherché tout d’abord à conserver l’ordre de choses établi, c’est-à-dire à l’imposer à ces marchands quoiqu’il fût en opposition absolue avec leurs conditions d’existence et comme toujours aussi, leur conduite s’explique autant par la bonne foi que par l’intérêt personnel. Il est certain que les princes n’ont pu comprendre qu’à la longue, la nécessité de modifier pour la population marchande le régime autoritaire et patriarcal qu’ils avaient jusqu’alors appliqué à leurs serfs. Les princes ecclésiastiques surtout montrèrent, au-début, une hostilité très marquée. Le commerce leur apparaissait comme dangereux pour le salut des âmes et ils considéraient avec défiance, et comme une atteinte condamnable à l’obéissance, toutes ces nouveautés dont la contagion s’étendait davantage de jour en jour. Leur résistance devait naturellement entraîner des révoltes. En Italie, dans les Pays-Bas, au bord du Rhin, la guerre des investitures fournit aux bourgeois une occasion ou un prétexte pour se soulever contre leurs évêques, ici au nom du pape, là, au nom de l’empereur. La première commune dont l’histoire fasse mention, celle de Cambrai, en 1077, a été jurée par le peuple, conduit par les marchands, contre le prélat impérialiste de la ville.

II. — Les villes

Les résistances des princes ont pu gêner le mouvement, elles ne l’ont pas arrêté. Il se précipite vers la fin du xie siècle, s’élargit et s’impose. Les princes s’aperçoivent maintenant qu’ils ont plus à perdre qu’à gagner en persistant à le combattre. Car s’il ébranle leur autorité locale et met en péril quelques-uns de leurs revenus domaniaux, il compense largement ces inconvénients par le supplément de recettes qu’il procure au tonlieu et par l’inestimable avantage d’un afflux constant de blés, de marchandises de toutes sortes, et de monnaies. Déjà, au commencement du xiie siècle, certains princes entrent franchement dans la voie du progrès et cherchent à attirer les marchands par la promesse de franchises et de privilèges. Bref, soit de bon gré, soit de force, les revendications de la bourgeoisie triomphent partout, comme le régime