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marchands, devient ce qu’elle devait rester jusqu’à la fin du Moyen Age, l’industrie la plus florissante de l’Europe.

Naturellement, ni la vieille « cité », ni le vieux « bourg » ne pourront renfermer, dans l’étroit périmètre de leurs murailles, l’affluence croissante de ces nouveaux venus. Ils sont forcés de s’installer en dehors des portes, et bientôt leurs maisons entourent de toutes parts et noient dans leur masse le noyau ancien autour duquel elles se sont agglomérées. Au reste, le premier soin de la ville nouvelle est de s’entourer, contre les pillards de l’extérieur, d’un fossé et d’une palissade qu’elle remplacera plus tard par un rempart de pierres. Comme la cité ou le bourg primitif, elle est donc elle-même une forteresse ; on l’appelle nouveau-bourg, ou faubourg, c’est-à-dire bourg extérieur ; et c’est à cette particularité que ses habitants doivent d’avoir été désignés depuis le commencement du xie siècle sous le nom de bourgeois.

Il en a été de la bourgeoisie comme de la noblesse dans cette société du Moyen Age, à laquelle l’abstention de l’État laisse une plasticité complète. Sa fonction sociale n’a pas tardé à la transformer en classe juridique. Il est évident que le droit et l’administration en vigueur, nés au milieu d’une société purement agricole, ne suffisent plus aux besoins d’une population marchande. L’appareil formaliste de la procédure, avec ses moyens primitifs de preuve, de gage, de saisie, doivent faire place à des règles plus simples et plus rapides. Le duel judiciaire, cette ultima ratio des plaideurs, paraît à des commerçants la négation même de la justice. Pour faire régner l’ordre au sein de leur faubourg où abondent des aventuriers de toutes sortes, gens de sac et de corde, inconnus jusqu’alors dans le milieu tranquille de la vieille cité ou du vieux bourg, ils exigent le remplacement de l’antique système des amendes et des « compositions » par des châtiments capables d’inspirer une salutaire terreur : pendaison, mutilations de toutes sortes, arrachement des yeux. Ils protestent contre les prestations en nature que les percepteurs du tonlieu exigent pour laisser passer les marchandises qu’ils importent ou exportent. S’il arrive que l’un d’entre eux soit reconnu comme serf, ils ne souffrent pas que son seigneur le réclame. Quant à leurs enfants, dont la mère est nécessairement presque toujours de condition servile, ils ne peuvent admettre qu’ils soient considérés comme non-libres. Ainsi, de toutes parts, de la rencontre de ces hommes nouveaux avec la société ancienne, se produisent des heurts et des conflits amenés par l’oppo-