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fortunes. Leur refuser l’esprit commercial est aussi naïf que le serait de refuser l’esprit politique aux princes, leurs contemporains. En réalité, l’esprit capitaliste apparaît avec le commerce.

Bref, l’histoire du commerce européen ne nous présente pas du tout, comme on aimerait à le croire, le spectacle d’une belle croissance organique faite à plaisir pour les amateurs d’évolutions. Elle ne commence pas par de toutes petites affaires locales se développant peu à peu en importance et en extension. Elle débute au contraire, conformément à l’excitation qu’elle reçoit du dehors, par le commerce lointain et par l’esprit des grandes affaires — grandes dans le sens relatif. L’esprit capitaliste le domine, et il est même beaucoup plus fort à ses débuts qu’il ne le sera plus tard. Ce qui a provoqué, dirigé et fait pénétrer le commerce en Europe, c’est une classe de marchands aventuriers[1]. C’est elle qui a ranimé la vie urbaine et, dans ce sens, c’est à elle que se rattache la naissance de la bourgeoisie, un peu comme le prolétariat moderne se rattache aux grands industriels.


CHAPITRE II

LA FORMATION DES VILLES

I. — Les cités et les bourgs

Une société dans laquelle la population vit du sol qu’elle exploite et en consomme sur place les produits, ne peut donner naissance à des agglomérations d’hommes de quelque importance, chacun y étant lié, par la nécessité de vivre, à la terre qu’il travaille. Au contraire, le commerce entraîne nécessairement la formation de centres auxquels il s’approvisionne et d’où il rayonne au dehors. Le jeu de l’importation et de l’exportation a pour résultat la formation, dans le corps social, de ce que l’on pourrait appeler des nœuds de transit. Dans l’Europe occidentale, au xe et au xie siècle, leur apparition va de pair avec le renouveau de la vie urbaine.

  1. Je crois que ce mot de marchands aventuriers est bien celui qui convient pour ces précurseurs qu’on ne peut encore appeler de grands marchands.