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AVANT-PROPOS


Je me trouve ici seul avec mes pensées, et si je ne parviens pas à les dominer, elles se laisseront dominer par mon chagrin[1], mon ennui et mes soucis pour les chers miens et me conduiront à la neurasthénie ou au désespoir. Il faut absolument que je réagisse. « Il y a des gens, m’a écrit ma chère femme, qui se laissent abattre par le malheur et d’autres que le malheur trempe. Il faut vouloir être de ces derniers. » Je vais essayer pour elle et pour moi.

À Holzminden, les étudiants russes auxquels je faisais, en l’improvisant, un cours d’histoire économique, m’exprimaient le désir, et je le voyais sincère, que je publiasse mes leçons. Pourquoi n’essayerais-je pas d’esquisser ici, dans ses grandes lignes, ce qui pourrait être une « Histoire de l’Europe » ? Le manque de livres ne peut me gêner beaucoup puisqu’il ne s’agit que d’une large ébauche. J’y avais déjà pensé à Iena et je prenais des notes. Il me semble que je voyais se débrouiller certains traits. En tout cas, ce sera une occupation. Je ne sais plus penser, me semble-t-il, que bien faiblement et ma mémoire a certainement décliné. Mais peut-être l’effort me fera-t-il quelque bien. L’essentiel est de tuer le temps et de ne pas se laisser tuer par lui.

Je dédie mon travail à la mémoire de mon Pierre bien-aimé, à ma chère femme et à mes chers fils.

H. PIRENNE.
Creuzburg a. d. Werra,
Gasthof zum Stern.
31 janvier 1917.
  1. L’auteur avait perdu son fils Pierre, engagé volontaire dans l’armée belge, tué à l’âge de dix-neuf ans, le 3 novembre 1914, au cours de la bataille de l’Yser.