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Avec les partisans les plus radicaux de la réforme religieuse, il ne voyait dans la puissance temporelle qu’une œuvre de division. L’Église seule était divine, elle seule pouvait conduire au salut, et l’Église s’unissait dans le pape « dont le nom seul doit être prononcé dans les églises et dont tous les rois doivent baiser les pieds ».

On est parti de là pour faire de Grégoire une sorte de révolutionnaire mystique, une espèce d’ultramontain s’acharnant à la ruine de l’État. C’est transporter des idées modernes dans un débat où elles n’ont rien à voir. D’ultramontanisme, tout d’abord, il ne peut être question chez Grégoire. La discipline ecclésiastique est encore très loin de dépendre de Rome. Il ne prétend pas du tout nommer les évêques. Ce qu’il veut, c’est que la pureté de l’Église ne soit plus souillée par les attouchements laïques. Quant à la lutte contre l’État, que veut-on dire ? L’Empire n’est pas un État. Ce n’est pas l’empereur qui en réalité le gouverne, ce sont les princes. Il n’y a pas, on l’a déjà vu, d’administration, de prise, de ce qu’on peut appeler faute de mieux, le pouvoir central, sur les hommes. En affaiblissant l’empereur, quel dommage en reçoit la société ? Aucun, puisqu’il lui est indifférent, puisque ce n’est pas lui qui la défend et la protège. Il ne doit résulter aucune catastrophe de la victoire du pape et il doit en résulter un bien pour l’Église. Il faut bien se placer à ce point de vue si on veut comprendre. Il ne faut pas oublier que l’on est en pleine époque féodale et que l’évolution sociale et politique favorise ces princes, dans lesquels nous avons reconnu plus haut les vrais organisateurs de la société. Aussi sont-ils pour le pape. La féodalité travaille pour lui comme, sans le vouloir, il travaille pour elle. Tout à l’heure, c’était la bourgeoisie naissante qui prenait parti pour Rome, maintenant, ce sont les féodaux. Ce qu’on appelle État ici, ce n’est pas du tout la société laïque, mais le pouvoir royal s’asservissant l’Église et la détournant de sa mission en faveur de son maintien.

Dans les origines premières, cette exploitation de l’Église par l’État remonte à la tradition carolingienne. Othon Ier n’a fait que corser un peu la politique ecclésiastique de Charlemagne. En réalité, ce que Grégoire attaque, c’est la conception politique qui fait de l’empereur, l’égal du pape. A l’alliance des deux pouvoirs, il substitue dans les choses de l’Église, la subordination de l’un à l’autre. Encore une fois, qu’on ne dise pas qu’il attaque l’État. Il serait plus exact de dire qu’il lui enlève son caractère clérical. En somme, en retirant à l’empereur l’investiture des évêques,