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Ainsi donc, en s’affaiblissant, l’État carolingien a cessé de tenir la main de l’Église, son alliée. Celle-ci en a souffert momentanément, et la situation de son haut personnel, depuis le pape jusqu’aux évêques, s’en est trouvée ébranlée, sauf en Allemagne. Mais l’affaiblissement qui en est résulté pour elle, a été compensé par une liberté plus complète et par une orientation du sentiment religieux qui, sans plus s’embarrasser du siècle, se tourne exclusivement vers le ciel. Les moines, les moines clunisiens surtout, sont les propagateurs de ces tendances nouvelles. Elles ont un double résultat ; d’une part, l’Église étant l’intermédiaire nécessaire du salut, en se dirigeant exclusivement vers les fins dernières, lui donnent un ascendant qu’elle n’a jamais eu auparavant sur les âmes. D’autre part elles lui confèrent une force extraordinaire en lui faisant rejeter toute tutelle, toute immixtion laïque dans ses affaires, comme une atteinte à sa pureté. Enfin, son prestige lui vaut une immense richesse, en terres, en aumônes, en privilèges.

Tout ce mouvement s’est développé en dehors de Rome et de la papauté. Mais il devait forcément y arriver et rendre tout à coup au successeur de Saint Pierre, dégradé dans les intrigues féodales et les conflits des partis, protégé impuissant de l’empereur, le gouvernement de cette force immense qui travaillait pour lui et attendait le moment d’agir sous son ordre.


CHAPITRE II

LA GUERRE DES INVESTITURES

I. — L’Empire et la papauté depuis Henri III
(1039)

En relevant en 962 l’Empire tombé, avili par ses derniers titulaires et qui, depuis 915, n’avait même plus de titulaire du tout, Othon voulut sans aucun doute renouer la tradition carolingienne. En recevant la, couronne des mains de Jean XII et en prenant le titre d’empereur des Romains (Romanorum imperator), il s’attribuait donc ce rôle de chef temporel de la chrétienté en