Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/135

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 118 —

Pour le reste, ils ne parviennent pas à établir l’ordre à Rome et cela les préoccupe peu. D’ailleurs, le pape ne peut les gêner, n’exerçant aucune autorité sur l’Église. Et à Rome, le clergé, aux mains des factions, ne proteste pas et ne fait aucun effort pour rendre au siège de Saint Pierre son ancien éclat ni même sa dignité. C’est du dehors que devait venir la réforme qui allait le relever et, par une conséquence nécessaire, le mettre en conflit avec l’empereur.


II. — La réforme de Cluny


La discipline, la morale, la science et la richesse de l’Église s’étaient relevées ou accrues sous les Carolingiens. Elles dépendaient de leur appui et par conséquent de leur puissance. Le déclin de celle-ci devait leur faire traverser et les fit traverser, en effet, une crise qui fut d’ailleurs comme la crise de la constitution politique, le point de départ d’un renouveau d’activité. En Allemagne, où dès Othon, l’Église impériale fut assise sur des bases solides, cette crise dura peu et, sous la direction des évêques, la tradition carolingienne fut vite reprise et la culture intellectuelle du clergé suivit de nouveau la voie tracée par Charlemagne et par Alcuin. Mais il n’en fut pas de même à l’occident de l’Europe. La féodalité en se répandant et en détruisant l’État atteignit l’Église par contrecoup. En France, en Lotharingie, en Italie, la situation des évêques est à peu près la même que celle du pape à Rome. Ils ont à se défendre contre les féodaux des environs ou ils sont imposés par eux au clergé, chassés s’ils ne plaisent pas au parti le plus fort, assassinés parfois s’ils le bravent trop ouvertement. Le pape ne peut rien pour eux ; en France, le roi ne peut protéger que ceux de son domaine, que d’ailleurs il nomme. La situation des monastères est encore plus lamentable. Les seigneurs laïques qui s’imposent à eux comme avoués, quand ils ne prennent pas tout simplement le titre d’abbés, mettent leurs terres aux pillages, constituent des fiefs à leurs hommes au détriment de domaines monastiques, leur imposent l’entretien de leurs serviteurs, de leurs meutes, bref les mettent au pillage sans que personne puisse intervenir.

Le pouvoir laïque faiblissant, l’Église traverse momentanément une crise d’où elle doit sortir plus forte puisqu’elle sera seule. Elle était capable de vivre par elle-même et d’appliquer, à elle seule, les forces qui s’étaient un moment détournées au service