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lingiens et on ne reverra plus tard le même sentiment que pour les rois. Le patriotisme moderne, né du sentiment dynastique, s’est formé tout d’abord dans les principautés.

Le prince est, en effet, le protecteur de ses hommes. Il paye de sa personne et rien n’est plus actif que sa vie et que son rôle social. Non seulement il conduit lui-même ses hommes à la guerre et se jette avec eux sur l’ennemi, mais il préside ses tribunaux, compte lui-même avec ses receveurs, décide personnellement de toutes les questions importantes, et surtout, il veille à assurer la « paix » publique. Il assure la sécurité des routes, étend sa protection sur les pauvres, les orphelins, les veuves, les pèlerins, court sus aux détrousseurs des grands chemins et les fait pendre. Il est le suprême justicier de sa terre, le gardien et le garant de l’ordre public, et c’est en cela que son rôle est essentiellement un rôle social. Quand on parle de féodalité « sanguinaire » il faut s’entendre. Elle l’a été au dehors, chez l’ennemi, non chez elle. Et il est certain que la société a commencé son éducation politique, dans le cadre des principautés féodales. Le grand État dont elles sont les démembrements n’a pas touché les hommes, son action a passe au-dessus d’eux. La monarchie a tracé les cadres de la vie politique et fait pénétrer le christianisme, s’est alliée à l’Église et a constitué un idéal de royauté qui subsiste et qui dans l’avenir sera une idée force. Mais elle manquait de prise sur les hommes. Il a fallu, pour les atteindre et les gouverner, le pouvoir proche, solide et actif des princes locaux. Et ils méritent, tous ces gendarmes princiers aux noms bizarres, ces rudes batailleurs, malgré leurs perfidies, leurs assassinats, leurs rapines chez le voisin, d’avoir leur place parmi les civilisateur, de l’Europe. Dans la vie politique et sociale, ils ont été les premiers instituteurs.

II. — La noblesse et la chevalerie

Il s’est constitué au xe siècle, dans les États européens, une classe juridique nouvelle, la noblesse. Pour apprécier son importance il suffit de remarquer qu’au point de vue politique, seule dans la société laïque, elle possède des droits politiques. Plus tard, la bourgeoisie se fera sa place à côté d’elle, une place de plus en plus grande, mais qui pourtant, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, n’en sera pas moins regardée comme une place de second ordre. Dans l’histoire d’Europe, la noblesse joue à peu près — quoique