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disparue, ils conservent d’ailleurs, l’un et l’autre, le même commun héritage qui a survécu à tout, même à l’Empire : l’indissoluble union du pouvoir royal avec l’Église, tant à cause de la supériorité intellectuelle de celle-ci, qu’en vertu même de la conception, qui subsiste, des devoirs de la royauté.

II. — Les nouveaux États

Entre ces deux États distincts qui viennent de sortir de l’unité carolingienne, France et Allemagne, il n’y a aucun motif d’hostilité nécessaire et interne. Les nationalités sont différentes, mais pas plus différentes de l’une à l’autre que ne l’est dans chacun des États, le contraste, par exemple des Bavarois et des Saxons, ou des Flamands et des Provençaux. Aucune tradition d’antagonisme. Au contraire, les deux pays ont vécu ensemble, ont eu les mêmes institutions. Leur constitution économique ne les pousse pas à empiéter l’un sur l’autre. Et pourtant entre eux s’élève tout de suite cette question belge que l’on pourrait appeler la question d’Occident et qui depuis lors, périodiquement et sous des formes diverses, se retrouvera dans tout le cours de la politique européenne. Elle apparaît alors comme une question lotharingienne.

L’aristocratie lohtaringienne se rappelle que la Lotharingie a formé un royaume. Elle a beau appartenir à des nationalités diverses par la langue, elle forme un même groupe social. Sur cette frontière où sont nés les Carolingiens, dans cet extrême nord romain où les influences romaines et germaniques se croisent, un sentiment d’autonomie s’est formé chez les grands. Ils ont eu des rois à eux, Lothaire II, Zwentibold ; ils veulent continuer la tradition. Ils n’ont pas reconnu Conrad de Franconie, élu par les duchés allemands et se sont placés sous la royauté de Charle le Simple qui les a laissés sous l’autorité de leur duc Regnier ; celui-ci prend une attitude si indépendante que déjà son fils Gislebert vise à obtenir le titre royal. Conrad n’a pu l’en empêcher. Mais dès qu’avec Henri l’Oiseleur, l’Allemagne possède un roi fort, elle intervient. Pour les Carolingiens, la Lotharingie est une partie de la France depuis Charles le Simple. Pour les rois d’Allemagne, elle fait nécessairement partie du royaume d’Allemagne. Elle appartiendra au plus fort et le plus fort est l’Allemagne. Désormais il n’y a plus d’intermédiaire, dans le nord, entre les deux grands royaumes occidentaux. La frontière franco-allemande est la frontière lotharingienne Escaut--