Page:Pirenne - De la méthode comparative en histoire, 1923.djvu/4

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 2 —

Hélas ! En 1917, la civilisation, depuis trois ans déjà, traversait la crise la plus terrible qu’elle eût jamais subie. Toutes les énergies étaient tendues vers la lutte. On eût dit qu’un monde nouveau s’enfantait dans l’héroïsme, dans l’horreur et dans les larmes. Toutes les prévisions étaient déjouées, tous les espoirs déçus, toutes les habitudes, toutes les traditions bouleversées. Cette Russie, où nous devions siéger, était secouée par une révolution formidable ; Saint-Pétersbourg était devenu Pétrograd. Ce palais où nous sommes assemblés aujourd’hui et qui, si longtemps, avait abrité les travaux paisibles d’une académie, était occupé par une ambulance allemande. Vous-mêmes, arrachés à vos études, vous portiez les armes, ou, militarisés au service de vos patries, vous leur donniez le concours de votre science et de votre talent, à moins que, comme celui qui vous parle, vous n’en fussiez empêchés par la prison ou par la déportation. La paix s’est faite, mais elle n’a rendu au monde ni la sécurité, ni la sérénité. Que de problèmes restent à résoudre ! Quel désarroi moral dans les consciences ! Quel désarroi intellectuel dans les esprits ! Quel bouleversement de l’équilibre social et de l’équilibre économique !

Au milieu de circonstances si déplorables, c’est un symptôme encourageant que la continuation de la vie scientifique. Décimés par la guerre, appauvris par la hausse de tous les prix, gênés par l’insuffisance des ressources que les gouvernements sont contraints d’imposer trop souvent aux laboratoires ou aux bibliothèques, plus souvent encore l’âme meurtrie par les deuils les plus cruels, chercheurs et professeurs ont repris sans hésiter leurs travaux et leur enseignement. Dans toutes les sciences, et cela dans tous les pays, l’activité des savants témoigne d’une énergie soutenue par le plus haut idéal. La réunion de ce Congrès en donne une preuve significative.

Les Congrès internationaux d’histoire sont sans doute une des manifestations les plus caractéristiques de l’universalité de la science. Car ils attestent d’une façon particulièrement frappante ce détachement de toutes les contingences auquel conduit nécessairement la recherche de la vérité. Pour le mathémati-