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Je n’ignore par l’objection que l’on peut soulever ici. Beaucoup d’historiens prétendront que ce qu’ils appellent race, ce sont précisément ces types nationaux, lentement émergés des origines communes, mais qui, une fois formés, doués d’une individualité propre, ne se développent plus que conformément à eux-mêmes et suivant les lois de leur nature particulière. Que faut-il croire de cette identification de la race avec la nationalité ? La littérature de guerre, en matière historique, l’a acceptée presque sans exception. Permettez-moi de m’y arrêter un instant.

Certes, il serait puéril de nier que les nations modernes présentent, à qui les observe même superficiellement, des différences si tranchées qu’elles vont parfois jusqu’au contraste. Leur art, leur littérature, leurs institutions, leur constitution sociale nous offrent les nuances les plus diverses, et nous parlons de l’âme, du génie et de l’individualité des peuples comme si les peuples étaient, en effet, des individus. Quelle réalité se cache cependant derrière ces métaphores, et dans quelle mesure un peuple est-il comparable à une personne ? Voilà sûrement, s’il est homme de science, une des questions principales qui puissent se poser à l’historien.

Je constatais tout à l’heure les services éminents que la méthode comparative avait rendus à la connaissance des civilisations primitives. Or, cette méthode, on renonce à l’employer dès que l’on aborde l’étude des civilisations plus avancées. Pourquoi ? J’en cherche le motif sans le trouver. On dira peut-être que la sociologie s’offre ici à l’historien et lui permet de démêler, sous la diversité des développements nationaux, les caractères communs du développement général. Certes, personne ne disconviendra que la sociologie n’apporte à l’historien un précieux concours. Mais encore faut-il bien remarquer qu’elle ne nous fournit guère jusqu’ici que des hypothèses — hypothèses utiles, suggestives et fécondes, j’en demeure d’accord, mais trop flottantes et trop provisoires pour qu’il soit possible de bâtir sur elles.

La sociologie est une science apparentée à l’histoire, mais elle ne