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vent à reconnaître l’action de la race dans des phénomènes que l’analyse critique dévoile comme de simples phénomènes sociaux. Les conditions géographiques, les conditions économiques, une foule d’autres circonstances encore influencent le développement des peuples, l’accélèrent en certaines contrées, et le retardent ailleurs. Il en résulte qu’à la même date les divers peuples appartiennent cependant à des époques différentes du développement général, parce que chez tous le temps ne s’est pas écoulé, si l’on peut dire, avec la même vitesse. La période que nous appelons moyen âge ne s’est-elle pas prolongée bien plus longtemps chez certaines nations que chez certaines autres ? Dès lors, ne convient-il pas, avant de juger de l’originalité d’une institution, par exemple, ou d’une coutume, de se demander si, au lieu d’en faire hâtivement honneur au prétendu génie national, il ne faut pas la considérer tout bonnement comme une survivance ou un archaïsme ? De grands progrès ont déjà été réalisés en ce sens. Nous savons aujourd’hui, grâce à l’ethnographie comparée, que la constitution politique et le droit des sociétés primitives présentent, en général, le même spectacle. Il n’est plus possible de revendiquer, aussi bien pour les Grecs que pour les Romains, les Celtes, les Germains ou les Slaves, une place à part et privilégiée en dehors du commun de l’humanité. Partout, dans ses traits essentiels, le développement général est de même nature et passe par des phases analogues. Sans doute, cette ressemblance ne va pas jusqu’à l’identité. On relève dans le détail des différences innombrables. La plupart d’entre elles sont évidemment le résultat de l’ambiance. Un peuple barbare voisin de peuples plus avancés ne présentera pas la même physionomie qu’un peuple barbare entouré d’autres barbares. Le climat, le relief du sol, sa fertilité, sa proximité ou son éloignement de la mer ont aussi exercé leur action et, petit à petit, dégagé et précisé de plus en plus les types nationaux. Ce qu’il faut attribuer à la race en dernière analyse, qu’est-ce donc, sinon ce qui demeure autrement inexplicable ? Et cela revient à dire qu’invoquer la race, c’est une manière d’affirmer notre ignorance, et qu’en bonne méthode il serait plus sage de l’avouer que de prétendre résoudre l’inconnu par l’inconnu.