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vait de lui reprocher si elle échouait. La Belgique censitaire et libérale fut donc la première en Europe, non seulement à posséder un railway national, mais en même temps un railway d’État. Peut-être les tendances saint-simoniennes assez répandues à cette époque dans une partie de la bourgeoisie et auxquelles adhérait Rogier[1] qui eut, avec Lebeau, l’honneur de présenter et de défendre la loi de 1834 devant les Chambres, contribuèrent-elles, en quelque manière, à un fait en apparence si paradoxal.

Si l’on songe aux événements qui venaient de bouleverser le pays, à l’incertitude de son avenir, à la crise économique qu’il traversait, l’énergie dont il fit preuve en abordant une œuvre aussi ample qu’elle devait être coûteuse et difficile, paraîtra plus étonnante et le succès dont elle fut couronnée plus merveilleux. Le gouvernement fit appel à des experts anglais, mais ce sont des ingénieurs belges, Pierre Simons et Gustave de Ridder, qui conçurent le plan du réseau et en dirigèrent l’exécution, et des métallurgistes belges qui fournirent les rails et les locomotives. Grâce au grand nombre d’ouvriers dont le chômage de l’industrie permit de disposer, les travaux marchèrent avec une rapidité extrême. Un sursaut d’orgueil national secoua l’opinion. Rogier disait que le chemin de fer « qui a donné des ailes à la Belgique, la dotera aussi d’une constitution matérielle comme le Congrès l’a dotée d’une constitution politique[2] », et Briavoinne écrira cette parole profonde : « sans la Révolution le chemin de fer ne pouvait exister, et sans le chemin de fer la Révolution pouvait être compromise »[3].

À peine commencée, la grande entreprise fit sentir ses résul-

  1. Il écrivait en 1868 à Michel Chevalier qu’il avait toujours admiré les principes de Saint-Simon, et qu’il regrettait que 1830 les eût arrêtés dans leur développement. E. Discailles, Charles Rogier, t. IV, p. 299. En 1837, il défendait à la Chambre le principe de l’exploitation des mines par l’État. En 1835, il voudrait que l’État se fit banquier pour assurer de l’argent à bon compte à l’industrie. Il songe, en 1839, à l’établissement de chemins de fer agricoles et en 1841 à l’ouverture d’un hôtel pour ouvriers invalides. (Ibid., t. II, pp. 402, 405 ; t. III, pp. 7, 44.)
  2. L. Hymans, Histoire parlementaire, t. I, p. 281.
  3. N. Briavoinne, De l’Industrie en Belgique, p. 445 (Bruxelles, 1839).