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nationale. À Gand, un groupe d’Orangistes qui risqua de se présenter n’obtint qu’un nombre ridiculement bas de suffrages. Nulle part les républicains n’osèrent affronter la lutte.

Si les élections ne furent pas des élections de parti, c’est qu’elles furent des élections nationales. À la date où elles se firent, tout le monde sentait que la seule question posée devant le pays était celle d’être ou de ne pas être. Il eût suffi d’envoyer au Parlement un certain nombre d’ennemis du régime pour en compromettre gravement l’existence. Rien ne prouve mieux la volonté de le maintenir que l’attitude du corps électoral. La gravité de l’heure imposait impérieusement la concorde. Le bon sens de la bourgeoisie lui fit comprendre qu’il ne suffisait pas d’écarter des Chambres les adversaires de la révolution, mais qu’il importait encore, afin d’éviter que la rivalité des opinions n’affaiblît la force de ses défenseurs, de ne donner aux députés d’autre mandat que celui de collaborer tous, dans le même esprit, à la même œuvre de salut public.

L’attitude du roi Guillaume contribua largement à imposer et à entretenir cette politique de cohésion et d’unité. Son refus d’acquiescer aux XXIV articles, en laissant la Belgique jusqu’en 1839 en état de guerre latente avec la Hollande et la Confédération germanique, la contraignit à faire bloc en face du péril et à subordonner l’intérêt de parti à l’intérêt national.

Ce fut un bonheur pour elle que l’obstination de son adversaire. Au lieu de la pousser à l’anarchie comme il l’espérait, elle eut pour résultat de lui épargner les dissensions intestines qui, avec un roi étranger et encore sans prestige et une constitution toute neuve à mettre en pratique, auraient eu sans doute les conséquences les plus déplorables. Que fût-il arrivé s’il avait signé dès 1831 ? Peut-être, débarrassés de toute crainte, catholiques et libéraux n’eussent-ils pas tardé à en venir aux prises et à tomber dans la confusion où avait péri la Révolution Brabançonne. Mais, menaçant les uns et les autres, il cimenta leur union par la communauté du danger et les contraignit à respecter l’alliance qu’ils avaient conclue en 1828. Grâce à sa rancune, la Belgique jouit de huit années de concorde civique dont elle profita pour faire l’épreuve du régime qu’elle