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sement du gouvernement de Louis-Philippe ne permit plus de compter sur l’appui des éléments révolutionnaires de France. L’allemand Loebell, qui visita la Belgique à cette date, constate que le parti français n’y existe plus[1], et Gendebien remarque avec amertume, qu’à Paris la tribune de la Chambre des députés, ne déverse plus sur les démocrates belges que la dérision et l’outrage[2]. Manifestement, désormais, leur cause est perdue. Les chefs pourtant s’obstinent à compter sur un revirement de l’opinion. La violence qu’ils déployèrent lors des événements de 1839 ne peut toutefois dissimuler leur faiblesse. Elle était telle qu’ils en furent réduits à combiner leurs efforts avec ceux des Orangistes.

Or, si les Orangistes souhaitaient aussi ardemment qu’eux-mêmes le renversement du régime, ils leur étaient opposés pour tout le reste. Ce n’était pas même un parti de classe, mais tout au plus une faction s’identifiant aux intérêts d’un groupe restreint de grands propriétaires et surtout d’industriels. C’est une erreur absolue de les considérer, ainsi qu’on le fait parfois, comme les précurseurs du mouvement flamand. Bien au contraire et par un contraste aussi curieux qu’il est compréhensible, c’est parmi eux que se rencontrent les éléments les plus francisés du pays. La langue populaire, ou, pour parler comme le gouvernement hollandais, la langue nationale, est complètement étrangère à ces riches. Ils l’ignorent ou ils la dédaignent. Ils n’en connaissent d’autre et n’en emploient d’autre, même dans leur correspondance avec La Haye, que la langue du beau monde auquel ils appartiennent. Francophobes de sentiments parce que la France est la source de la démocratie qu’ils abominent, ils n’en sont pas moins des « fransquillons » dans toute la force du terme, par leur genre de vie, leurs mœurs et leur langage. S’il se rencontre parmi eux quelques familles de la haute noblesse qui, par sentiment légitimiste ou par amour-propre, restent fidèles à la maison d’Orange, pour la plupart ils descendent de ces hommes nouveaux que l’achat des biens nationaux ou les entre-

  1. J. W. Loebell, Reisebriefe aus Belgien, p. 325 (Berlin, 1837).
  2. L. Hymans, Histoire parlementaire, t. I, p. 427.