son peuple sous la figure d’un vaincu et de s’être trouvé à deux doigts de devoir rendre son épée ! S’il ne portait pas la responsabilité personnelle de la catastrophe, il en portait la responsabilité politique. Victime de l’incurie du Congrès qui l’avait élu, il ne pouvait qu’accepter en silence la conséquence de fautes qu’il n’avait pas commises. Tout rejaillit sur un chef d’État, et au lieu de faire confiance au souverain qu’elle venait de mettre à sa tête, la nation humiliée, désenchantée et découragée se demandait si elle n’avait pas fait appel à un incapable.
Pour comble d’infortune, la situation matérielle contribuait encore à aigrir l’opinion. Depuis la Révolution, le pays était en proie à une crise économique plus grave encore que celle qu’il avait traversée en 1815[1]. La perte du marché hollandais, la perte surtout du marché des colonies hollandaises plongeait l’industrie dans le marasme. La fermeture de l’Escaut interrompait le commerce maritime ; impossible de continuer avec l’Allemagne le transit par la voie du Rhin. De toutes parts les usines chômaient ou ne travaillaient qu’à équipes réduites. À Gand, on estimait que 30,000 ouvriers étaient sans ouvrage, et que sur quatre-vingts fabriques, quatre seulement conservalent une activité normale. De 1830 à 1836, le nombre des broches à filer le coton y passait de 209,173 à 139,939. Pour permettre aux fabricants de calicot de ne pas renvoyer leur personnel, le Conseil communal ouvrait un emprunt de 10,000 florins. La métallurgie, les mines de charbon subissaient le contre-coup du déclin des industries textiles. Et, pour augmenter le désarroi, l’Angleterre inondait le pays de marchandises de toutes sortes, tandis que le gouvernement hollandais prenait des mesures pour étouffer le commerce belge. Il semblait que la prospérité éclatante dont on avait joui durant les dernières années du royaume des Pays-Bas, fût irrémédiablement compromise. Personne n’avait foi dans l’avenir. La Société Générale, par sympathies orangistes autant que par prudence, resserrait son crédit. Des industriels découragés émigraient en Hollande.
- ↑ Histoire de Belgique, t. VI, p. 273.