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intérieure à ses ministres, et s’il paraît, au surplus, y avoir trouvé peu d’attraits, il éprouvait au contraire pour la grande politique un intérêt passionné. Gendre du roi de France, oncle de la reine d’Angleterre, chef de cette maison de Cobourg qui avait donné un prince-consort à la Grande-Bretagne et un roi au Portugal, il jouissait en Europe d’un prestige qui rehaussa celui de sa couronne. Ses talents politiques avaient établi sa réputation dans toutes les cours. Il entretenait avec la plupart d’entre elles une correspondance où s’exprimaient souvent des conseils qu’on ne lui demandait pas toujours. S’il est certainement exagéré de voir en lui « l’oracle politique de l’Europe », on ne peut lui refuser le mérite d’avoir exercé une action diplomatique qui fortifia singulièrement le régime de neutralité imposé à son royaume. « La situation de la Belgique dans le monde, écrit en 1848 le ministre autrichien à Bruxelles, repose exclusivement sur les relations du roi »[1]. Il est certain en tout cas, que ces relations lui profitèrent grandement. Léopold ne les employa jamais qu’au service de la paix. Il travailla activement, en 1840, à empêcher le conflit menaçant de la France et de l’Angleterre. Plus tard, s’il semble avoir songé à provoquer une coalition contre Napoléon III, ce n’est qu’à une coalition pacifique qu’il pensait. Et cette politique de conciliation européenne était bien celle qui convenait à un roi des Belges.

Incontestablement, des rois si nombreux que tant d’États nouveau-nés appelèrent à régner sur eux au cours du xixe siècle, Léopold Ier ne fut pas seulement le plus heureux, mais le plus habile. Il a créé une œuvre solide et durable et fondé une tradition qui lui a survécu. Il se rendait justice et se réjouissait d’avoir réussi. « J’ai gâté le pays, disait-il en 1845, en lui obtenant depuis quinze ans des choses auxquelles seul il n’avait pas la moindre chance de parvenir »[2]. Il fut dans toute la force du terme ce que Palmerston avait prévu qu’il serait, « un bon roi belge ».

  1. E.-C. Corti, Leopold I von Belgien, p. 131.
  2. Lettre à Ad. Dechamps, dans E. de Moreau, Adolphe Dechamps, p. 195 (Bruxelles, 1911).