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encore sous le charme de l’entrevue, écrivait à sa famille : « Je ne désirerais rien pour mon pays si les choses répondent à l’homme »[1].

Du pays sur lequel il allait régner, il ne connaissait rien. Il ne semble pas même qu’il se soit le moins du monde intéressé à la révolution populaire et bourgeoise à qui il devait sa couronne. Pour cet esprit réaliste la politique se réduisait à l’art de gouverner, et le dogme de la souveraineté du peuple n’était qu’un grand mot. Au fond, c’était un conservateur. Il est paradoxal qu’il ait professé, pour les traités de 1815 contre lesquels ses sujets venaient de s’insurger, une admiration sincère. En dépit de ses accointances et de ses sympathies anglaises, ce qui domine peut-être en lui, c’est le prince allemand d’Ancien Régime, aussi hostile aux principes révolutionnaires de la France qu’au nationalisme germanique de la Prusse. Son idéal, c’est l’Autriche de Metternich, avec son horreur de la démocratie et son gouvernement légitimiste et autoritaire. À ses yeux, la constitution belge était une absurdité[2]. Et il faut se demander comment, l’appréciant ainsi, il a pu l’appliquer avec une maîtrise qui fait de lui le type le plus achevé de monarque constitutionnel que l’Europe continentale ait connu.

En ceci sa connaissance approfondie du parlementarisme anglais, tel surtout qu’il était compris et appliqué par les Whigs, lui fut sans doute d’un précieux secours. Elle lui avait appris que dans un pays libre, le gouvernement n’est possible qu’avec le concours de l’opinion. Mais en Belgique ce n’était pas comme en Angleterre une aristocratie rompue au maniement des affaires et appuyée sur une longue tradition politique qui dirigeait l’opinion, mais une bourgeoisie à tendances

  1. Lettre inédite de Stanislas Fleussu, dont je dois la communication à l’obligeance de M. Henri Heuse.
  2. Le 17 avril 1846, il le dit en propres termes à l’archiduc Jean : « Die hiesige Konstitution ist eine Verrücktheit ». E. C. Corti, Leopold I von Belgien. p. 139 (Vienne, 1922). En 1841, il parle au ministre du Piémont de l’« absurde constitution qui paralyse tout le bien que l’autorité royale pourrait et devrait faire ». C. Buraggi, etc., Belgio e Piemonte nel risorgimento italiano (Turin, 1930).