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pouvoir exécutif et de maintenir la neutralité que les Puissances avaient imposée au pays, il fit de l’une et de l’autre des « réalités ». L’œuvre qu’il accomplit fut une expérience d’autant plus remarquable qu’elle était sans exemple. Et si l’on songe aux périls de toutes sortes qui à l’intérieur comme à l’extérieur menaçaient le jeune royaume, il ne sera pas exagéré de donner à Léopold Ier comme à Philippe le Bon, l’épithète bien méritée de Conditor Belgii.

Huitième enfant de François, prince de Saxe-Cobourg-Saalfeld et d’Augusta de Reuss, ce cadet de famille, né le 16 décembre 1790, avait passé par les péripéties d’une étrange fortune. Comme tous les princes allemands de l’époque, il avait commencé par courtiser Napoléon avant de se tourner contre lui. Devenu officier dans l’armée russe, il avait combattu à Lützen, à Bautzen, à Kulm et à Leipzig. À Paris, où il était entré avec les alliés en 1814, il avait fait sensation. Il passait à juste titre pour un des plus beaux hommes de son temps. On était conquis par son élégance naturelle, son front plein d’intelligence, son regard profond, par quelque chose de lumineux et de pensif tout à la fois qui émanait de sa personne. Le mariage de sa sœur Julie avec le grand-duc Constantin de Russie l’avait rapproché du tsar Alexandre. Venu avec lui à Londres en 1814, il conquit le cœur un peu bien fantasque de la princesse Charlotte, qui devait hériter du trône à la mort de Georges III, et dont les fiançailles avec le prince d’Orange, que Léopold devait rencontrer plus tard sur le champ de bataille de Louvain, venaient d’être rompues. Le mariage fut conclu le 2 mai 1816. Mais après quelques mois de lune de miel dans les beaux jardins de Claremont, Charlotte mourait le 6 novembre 1817, en mettant au monde un enfant mort-né. Le brillant avenir qui s’était un moment promis à son époux disparaissait brusquement.

Il mena depuis lors, tantôt à Claremont, tantôt à Marlborough house, une vie sérieuse et un peu triste, vivant en marge de la famille royale, intéressé par la politique, dont il s’entretenait en spectateur sagace avec son confident Stockmar, serviteur dévoué de sa famille qui, de Cobourg, l’avait suivi en