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l’administration et jusque dans le ministère, leur apparaissait monstrueuse et inique. Monstrueuse, puisqu’elle foulait aux pieds le droit sacré des citoyens de disposer d’eux-mêmes ; inique, puisqu’elle allait condamner 400,000 catholiques à repasser sous le joug d’un souverain ou, pour employer le langage d’alors, d’un despote protestant[1]. Comme aux premiers jours de la révolution, la passion patriotique ranimait la passion républicaine et la passion religieuse. Les républicains s’efforçaient de soulever le peuple des villes, le clergé, celui des campagnes. Le duc de Beaufort s’emportait jusqu’à dire qu’on lâcherait la foule contre les ministres s’ils cédaient[2]. Le journal Le Belge excitait l’armée à désobéir à ses chefs[3]. La fureur poussait les uns à exiger l’invasion de la Hollande ; les autres assuraient que les soldats catholiques de la Confédération germanique refuseraient de tirer sur les Belges. Soit pour contenter l’opinion, soit pour influencer la Conférence, le gouvernement mettait l’armée sur pied de guerre, faisait acheter des chevaux, prenait des officiers polonais à son service. Les protestations des Limbourgeois et des Luxembourgeois, les pétitions dont ils inondaient le Parlement surchauffaient encore une exaspération d’autant plus contagieuse qu’elle s’inspirait de sentiments plus généreux et plus sincères. Au milieu de la confusion générale, les Orangistes faisaient chorus avec les républicains[4], si bien que l’on pouvait se demander si le trône lui-même n’allait pas sombrer dans la crise. Deux ministres épouvantés démissionnaient.

Pour profonde et générale qu’elle fût, cette agitation n’en était pas moins sans issue. L’Europe opposait cette fois un front unique aux objurgations des Belges. Louis-Philippe avait fait vainement à La Haye une démarche officieuse pour

  1. D’après le ministre français à Bruxelles, Boislecomte, l’opposition s’explique surtout par la passion religieuse des catholiques. Gedenkstukken, loc cit., t. II, p. 455. Le « parti libéral ou industriel » est, dit-il, beaucoup plus froid parce qu’il craint la guerre. Ibid., p. 456. Les démocrates font rage, mais sont peu puissants. Ibid., p. 457.
  2. Ibid., p. 455.
  3. Ibid., t. I, p. 548.
  4. Ibid., p. 520.