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des trois cours du Nord. Devant le résultat « final et irrévocable » de la Conférence, elles éprouvaient maintenant le remords d’avoir pactisé avec le libéralisme et de la « protection qu’elles avaient accordée à une révolution ». Le tsar reprochait à ses plénipotentiaires d’avoir outrepassé leurs instructions en sacrifiant un souverain « étroitement uni à sa maison par des liens de parenté et d’affection ». On oubliait, depuis qu’elles étaient passées, les terreurs provoquées par l’imminence de la guerre générale. Metternich rejetait tous les torts sur la Prusse, qui n’avait pas osé prendre dès le début une attitude assez énergique ; « si elle l’eût fait, cette révolution se serait terminée d’une manière aussi honteuse que les mouvements insurrectionnels qui avaient éclaté à la même époque en Italie ».

Mais il était trop tard. On s’était lié les mains. À tout prendre, on avait obtenu l’essentiel en empêchant la France de s’emparer de la Belgique. Sans doute, il était regrettable d’avoir dû consacrer une indépendance révolutionnaire sur les instances des deux Puissances libérales. Guillaume ne pouvait exiger cependant de ses protecteurs qu’ils missent leur épée à son service : ils l’entouraient de bons procédés, empêchaient qu’il ne lui fût fait violence, cherchaient par une insistance touchante et comique à lui faire signer l’odieux traité. Ils n’obtenaient que des rebuffades. Il fallut bien se résigner enfin à abandonner un roi qui se targuait vraiment trop d’une légitimité fallacieuse et parlait de la Belgique comme s’il l’avait recueillie dans l’héritage de ses ancêtres au lieu de la tenir de la complaisance de l’Europe[1]. Ce qui lui avait été donné pouvait lui être repris. Il en fit l’amère expérience. Lassées de son obstination, l’Autriche et la Prusse se décidaient, le 18 avril 1832, à ratifier le traité des XXIV articles ; le 4 mai, la Russie les imitait, tout en formulant quelques réserves.

  1. Matuszewic remarque fort justement, le 21 octobre 1831, que « la Belgique ne lui a jamais appartenu à titre héréditaire ni à titre de conquête comme la Pologne appartient à l’empereur ». Ce sont les Puissances qui la lui ont donnée en vertu de leur droit de conquête « et non d’un droit quelconque qui lui fût propre ». Elles peuvent donc en disposer sans violer le principe de la légitimité. Gedenkstukken, loc. cit., t. III, p. 496.